Le 4 f�vrier 2003 (1) , la premi�re chambre civile de la Cour de cassation d�cidait que toutes les correspondances �chang�es entre avocats �taient, sans exception, couvertes par le secret professionnel.
Cette d�cision fut vivement critiqu�e par les avocats, qui y ont vu un amoindrissement de leurs pouvoirs et partant une volont� des juges de d�valoriser leur mission.
Il semble que la r�alit� soit diff�rente.
Ce n’est pas tant la d�cision de la Cour de cassation, qui doit �tre l’objet de nos critiques, que la loi elle-m�me, vot�e en toute h�te et presque par surprise, et que la Cour supr�me a appliqu� dans toute sa rigueur.
Cette d�cision aura eu le m�rite de nous rappeler � nos devoirs de loyaut�, et de confraternit� essentiels � notre pratique professionnelle et � amener une modification l�gislative indispensable pour que nos usages soient conformes � la loi.
En effet, la Chancellerie, sollicit�e par nos instances professionnelles, a propos� d’amender le projet de loi r�formant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques , afin de modifier la r�daction de l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971 (2).
Pour autant, la semonce de la Cour de cassation (I) ne restera pas lettre morte. Si la pratique des lettres officielles se trouve valid�e par le l�gislateur, c’est au terme d’une r�flexion renouvel�e sur la confidentialit� des correspondances entre avocats, au regard des r�gles d�ontologiques (II).
I - LE RAPPEL A L’ORDRE
L’arr�t rendu le 4 f�vrier 2003 par la premi�re Chambre civile de la Cour de cassation fait une application stricte des textes en vigueur en rappelant que le R�glement Int�rieur harmonis� n’�tait pas conforme � l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971 , dans sa r�daction issue de la loi du 7 avril 1997.
A - Les pr�misses
1° La non-conformit� de l’article 3.2 du r�glement int�rieur harmonis� � l’article 66-5 de la loi de 1971
L’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971, dans sa r�daction issue de la loi du 7 avril 1997, dispose qu’ " en toutes mati�res, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la d�fense , les consultations adress�es par un avocat � son client ou destin�es � celui-ci, les correspondances �chang�es entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confr�res, les notes d’entretien et, plus g�n�ralement, toutes les pi�ces du dossier sont couvertes par le secret professionnel "
Cette disposition a �t� adopt�e dans le seul dessein d’�tendre le secret professionnel aux correspondances �chang�es entre avocats, dont la confidentialit� n’�tait jusqu’alors prot�g�e que par les r�gles d�ontologiques, alors que nous �tions menac�s par les investigations des magistrats instructeurs, qui �tendaient leurs perquisitions � nos cabinets.
Il s’agissait avant tout de garantir notre secret professionnel, dans l’int�r�t de ceux qui nous consultent et qui nous mandatent, �tant rappel� qu’il n’y a de d�fense possible que si les r�v�lations de nos clients sont prot�g�es.
Les avocats avaient � l’�poque demand� � notre confr�re Marcel PORCHER, du barreau de Pontoise de pr�senter un amendement destin� � faire �chec � la jurisprudence de la cour de Cassation qui tendait � cr�er une distinction entre l’activit� judiciaire et l’activit� de conseil.
C’est ainsi qu’est n� l’article 66-5 modifi�, qui a assimil�, avec les difficult�s qui s’en sont suivies, la confidentialit� des correspondances au secret professionnel.
2° Le d�voiement des lettres officielles
Si l’on peut regretter que la loi du 7 avril 1997 ait proscrit sans nuance l’usage des lettres officielles, on doit cependant d�plorer que cette pratique ait donn� lieu � des abus, contraires � nos usages et � nos r�gles d�ontologiques.
Est-il besoin de rappeler, en effet, que la lettre officielle ne saurait en aucun cas faire la preuve de ce qui, �chang� sous " la foi du Palais ", avait vocation � demeurer secret.
A cet �gard, l’article 3.2 du RIH, rappelle cette r�gle d�ontologique �l�mentaire, puisqu’il �nonce que " les correspondances et conventions pr�vues ci-dessus ne doivent faire aucune r�f�rence � des correspondances ou propos ant�rieurs confidentiels ".
La Cour de cassation a mis un terme brutal � ce d�bat, en rappelant que l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971 ne pr�voyait aucune exception au secret des correspondances.
B - L’arr�t de la Cour de cassation
1° La solution
La cour d’appel dont la d�cision �tait d�f�r�e � la censure de la Cour de cassation avait refus� d’�carter des d�bats un courrier �chang� entre avocats, au motif que le secret professionnel ne prot�geait pas les correspondances entre avocats quand elles �taient officielles ou quand elles se substituaient � un acte de proc�dure.
La Cour de cassation a cass� cet arr�t en rappelant qu’il r�sultait de l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971, "qui ne comporte aucune exception, que toutes les correspondances �chang�es entre avocats sont couvertes par le secret professionnel ".
2° Port�e
Si le d�bat portait en l’occurrence sur une lettre de proc�dure, produite par l’avocat de l’intim� afin de faire la preuve de ce que l’appelant avait en r�alit� acquiesc� au jugement, la g�n�ralit� de l’attendu ne laisse subsister aucun doute sur la port�e de la censure. Sont d�sormais prohib�es tant les lettres de proc�dure que les lettres portant la mention " officielle ".
Partant, aussi longtemps que la r�daction de l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971 n’aura pas �t� modifi�e, les lettres de proc�dure seront utilement remplac�es par les actes de proc�dure � forme simplifi�e du nouveau Code de proc�dure civile, savoir les actes du Palais et la notification directe.
De m�me, il conviendra d’avoir recours � la signature de nos clients, pour les courriers et conventions qui ne pourront plus porter la mention "officielle ".
La solution est toutefois transitoire puisque la lettre officielle devrait retrouver droit de cit� � la fin de l’ann�e 2003.
II- LE RETOUR A L’ORDRE
En effet, le projet de loi portant r�forme du statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, en cours d’examen, pr�voit de d�roger au secret professionnel en validant la pratique des lettres officielles (A). Il appartiendra en cons�quence aux avocats eux-m�mes, par l’interm�diaire du Conseil National des Barreaux (C.N.B.), d’encadrer, conform�ment aux r�gles d�ontologiques, l’usage de la lettre officielle (B) .
L’arr�t de la cour de Cassation aura ainsi eu le m�rite, douloureux pendant cette p�riode transitoire, de nous obliger � r�fl�chir � notre pratique et de provoquer une modification l�gislative, qui nous rend � nouveau ma�tres de nos secrets.
A - Le projet de loi
1° La validation l�gislative de la pratique des lettres officielles
L’article 32 bis du projet de loi pr�voit d’inscrire, � l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971, la pratique des courriers dits officiels.
Il dispose en effet qu’ " � l’article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 d�cembre 1971 pr�cit�e, apr�s les mots : " entre l’avocat et ses confr�res ", sont ins�r�s les mots : " � l’exception de celles portant la mention "officielle" ".
Cette nouvelle r�daction appelle deux observations.
D’une part, on remarquera qu’elle ne reprend pas textuellement les exceptions pr�c�demment �nonc�es par l’article 3.2 du RIH, puisqu’elle se borne � valider l’usage des lettres portant la mention " officielle ". D�sormais, les lettres de proc�dure devront donc �tre rev�tues de cette mention.
D’autre part, le texte vise les lettres portant la mention " officielle ", sans autre pr�cision. Pour autant, il ne faudrait pas en d�duire que les avocats pourront apposer la mention " officielle " de mani�re discr�tionnaire sur leurs correspondances. Le l�gislateur a simplement entendu laisser aux avocats eux-m�mes le soin d’encadrer leur usage.
2° Un usage r�glement� par les avocats eux-m�mes
Le projet de loi se borne � poser un principe, qu’il incombera aux avocats de mettre en �uvre, dans le respect de leurs r�gles d�ontologiques.
Mission de confiance, s’il en est, si l’on songe qu’il s’agit de d�finir les contours d’un secret professionnel qui, loin d’�tre �dict� pour la seule sauvegarde d’int�r�ts priv�s, constitue un devoir d’ordre public.
Tel est l’aboutissement paradoxal d’un processus qui a d�but� par un rappel � la loi par le juge judiciaire. Pour autant, le cheminement n’aura pas �t� vain.
B - Le projet de modification du r�glement int�rieur harmonis�
1° Le devoir de loyaut�
Les exceptions au secret doivent �tre d�finies � la lumi�re des principes g�n�raux de la profession, et en particulier des principes de loyaut� et de probit� qui dictent notre conduite quotidienne.
Or, ces principes interdisent pr�cis�ment � l’avocat de donner une quelconque publicit� � ce qu’il sait devoir rester secret.
C’est pourquoi la lettre officielle ne doit jamais �tre utilis�e pour se constituer � soi-m�me la preuve d’�changes confidentiels.
Ce principe cardinal, qui figurait d�j� au dernier alin�a de l’article 3.2 du RIH, a �t� r�affirm� avec force dans la proposition de r�daction formul�e par la commission "R�gles et Usages" du C.N.B (3).
2° Le projet de modification du r�glement int�rieur harmonis�
Le C.N.B. propose en effet que l’article 3.2 soit d�sormais libell� comme suit : " Peuvent porter la mention officielle et ne sont pas couverts par le secret professionnel, au sens de l’article 66-5 de la loi du 31 d�cembre 1971 :
une correspondance �quivalente � un acte de proc�dure,
une correspondance ne faisant r�f�rence � aucun �crit, propos ou �l�ments ant�rieurs confidentiels.
Ces correspondances doivent respecter les principes essentiels de la profession d�finis par l’article 1er du pr�sent r�glement ".
Une telle formulation, en tant qu’elle fait r�f�rence � nos principes essentiels ne peut que recueillir notre enti�re approbation.
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Il appartient d�sormais � nos instances professionnelles de veiller � ce que ces principes soient sauvegard�s lors de la discussion du projet au parlement .
Le B�tonnier et le Conseil de l’Ordre devront ensuite �tre les gardiens de la loi, en exer�ant un contr�le r�el sur les conditions auxquelles seront soumises les correspondances officielles et �viter les exc�s de ceux qui tenteraient d’abuser de cette qualification pour se constituer des preuves.
Cette t�che sera d’autant plus facile que les dispositions l�gales seront transpos�es dans le r�glement int�rieur harmonis�.
C’est � ce prix que notre profession conservera la ma�trise de sa d�ontologie, sans rien c�der de ses pouvoirs et garantira son ind�pendance � l’�gard des menaces qui p�sent sur notre secret professionnel.