Le 14 d�cembre 1810, l’Empereur Napol�on 1er promulguait un d�cret " contenant r�glement sur l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau ".
On lit dans l’expos� des motifs de ce texte : " Nous avons en cons�quence ordonn� par la loi du 22 vent�se an XII, le r�tablissement du tableau des avocats comme un des moyens les plus propres � maintenir la probit�, la d�licatesse, le d�sint�ressement, le d�sir de la conciliation, l’amour de la v�rit� et de la justice, un z�le �clair� pour les faibles et les opprim�s, base essentielle de leur �tat.
En retra�ant aujourd’hui les r�gles de cette discipline salutaire dont les avocats se montr�rent si jaloux dans les beaux jours du barreau, il convient d’assurer en m�me temps � la magistrature la surveillance qui doit naturellement lui appartenir sur une profession qui a de si intimes rapports avec elle :
Nous aurons ainsi garanti la libert� et la noblesse de la profession d’avocat, en posant les bornes qui doivent la s�parer de la licence et de l’insubordination."
Le m�me d�cret comprend un article 39 ainsi con�u :
" si un avocat, dans ses plaidoiries ou dans ses �crits, se permettait d’attaquer le principe de la monarchie et les constitutions de l’Empire, les lois et les autorit�s �tablies, le Tribunal saisi de l’affaire prononcera sur le champ ou sur des conclusions du Minist�re Public, l’ une des peines port�es par l’article 25 ci-dessus ".
Si l’on excepte �videmment le d�cret r�volutionnaire des 2 et 11 septembre 1790 supprimant purement et simplement la profession d’avocat, ce texte aux apparences beno�tes et protectrices a constitu� pour le barreau fran�ais l’une des plus fortes atteintes � son ind�pendance depuis sa cr�ation en 1274.
Le projet du Gouvernement d’aujourd’hui, qui se propose d’instituer, lui aussi par d�cret, notre nouveau "Code de d�ontologie", � l’instar de ceux gouvernant les professions lib�rales du soin, du chiffre et de la technique, proc�de d’une d�marche identique � celle de l’Empereur il y a pr�s de deux si�cles.
M�me si le Gouvernement n’entend aujourd’hui codifier que les r�gles qu’aura explicitement approuv�es la profession, m�me si cette codification se fait dans l’amiti� consensuelle avec la Direction des Affaires Civiles, c’est bien � l’effondrement d’une construction symbolique essentielle � laquelle nous risquons d’assister.
Les r�dacteurs du d�cret du 27 novembre 1991, qui a si bien organis� notre profession au lendemain de la fusion avec les conseils juridiques, s’�taient bien gard� de qualifier de "Code de D�ontologie", la collection des textes � vocation statutaire qu’ils avaient constitu�e ; ayant compris que les signes de l’Ind�pendance �taient tout aussi importants que l’ind�pendance elle-m�me, ils avaient laiss� aux barreaux la mission essentielle d’�laborer le coeur de la d�ontologie et de codifier les r�gles et usages du barreau, en les adaptant progressivement, barreau par barreau, aux �volutions sociales.
Le Gouvernement et la profession avaient ainsi mis en place un m�canisme de construction et d’extension de nos r�gles professionnelles tout � fait satisfaisant ; l’adoption l’ann�e derni�re, pratiquement par tous les barreaux de France, du R�glement Int�rieur Unifi�, patiemment construit au Conseil National, sous l’�gide de la Commission " R�gles et Usages ", paraissait de nature � prot�ger l’int�r�t g�n�ral et � satisfaire l’ensemble de la profession, m�me si deux ou trois articles, et non des moindres, restent encore � revoir, � raison de la cohabitation de modes d’exercice trop diff�rents.
Cette douloureuse question a donn� lieu, le 17 septembre 2004, � PARIS, lors de l’Assembl�e G�n�rale du Conseil National, � de tr�s vifs �changes en pr�sence des repr�sentants du Gouvernement ; ce qui montre bien l’absence de tout consensus sur ce sujet au plus haut niveau. Or il n’existe aucune urgence, aucune situation insoluble � laquelle il faudrait imm�diatement porter rem�de, ni aucun motif de mobiliser la r�flexion des forces vives de la profession sur un sujet si symbolique.
En l’absence d’accord unanime sur une r�forme aussi d�licate et contest�e, il est temps de faire machine arri�re et de retourner au travail pour r�soudre les vraies questions qui doivent conna�tre d’urgence leur solution, comme la mise en ?uvre de la r�forme de la formation avec le regroupement des centres par r�gions, la d�finition du statut du collaborateur lib�ral, la d�fense du p�rim�tre professionnel, et la lutte contre toutes les nouvelles menaces qui p�sent sur l’ind�pendance de l’avocat, ce g�neur institutionnel dont nos soci�t�s trop contr�l�es ont tant besoin.