Pour autant aucun de ces textes n’offre une d�finition explicite de cette dignit�. D’ailleurs aucune source du droit, internationale ou interne, post�rieure � cette singuli�re et tragique p�riode de la moiti� du Xx�me si�cle, n’�claire le lecteur sur une signification de la dignit� de la personne humaine. Ainsi en est-il, par exemple, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europ�enne du 18 d�cembre 2000 et des divers d�cisions jurisprudentielles rendues par nos juridictions nationales, que ce soient la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat. Le l�gislateur lui non plus ne brille pas par son �loquence. Enfin rares sont les ouvrages juridiques qui se concentrent sur cette question.
Pourtant le rappel constant du principe de la dignit� de la personne humaine dans notre droit positif appelle � une r�flexion.
Tout d’abord, il est bon de constater qu’outre la dignit� de la personne humaine, sont couramment invoqu�es celle de l’�tre humain, de l’esp�ce humaine et surtout la dignit� humaine. Les auteurs qui ont r�fl�chi � la question distinguent toutes ces formes de dignit�, sans apporter n�anmoins d’autres pr�cisions. De plus, peu de textes, il convient de le noter, se r�f�rent � la dignit� humaine. Ainsi en est-il seulement des Statuts de Nuremberg et aujourd’hui de la Charte des droits fondamentaux de l’Union europ�enne laquelle dispose en son article premier : " la dignit� humaine est inviolable, elle doit �tre respect�e et prot�g�e".
Plus r�v�lateurs sont en revanche les statuts de Nuremberg, qui ne visent pourtant pas explicitement la dignit� humaine. L’article 6 �nonce en effet les crimes soumis � la juridiction du Tribunal. Outre les crimes contre la paix et les crimes de guerre, sont �num�r�s les crimes contre l’humanit�. (" C’est-�-dire l’assassinat, l’extermination, la r�duction en esclavage, la d�portation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les pers�cutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou pers�cutions, qu’ils aient constitu� ou non une violation du droit interne du pays o� ils ont �t� perp�tr�s, ont �t� commis � la suite de tout crime entrant dans la comp�tence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime "). D’aucuns, avec raison, ont estim� que tous les actes vis�s dans les Statuts de Nuremberg portaient atteinte � la dignit� humaine.
Par un raisonnement a contrario, il semble alors possible de d�finir la dignit� humaine. Elle serait n�e de la prise de conscience, par la soci�t� et les Etats, du concept d’humanit�. D�crites � l’article 6 des statuts de Nuremberg, les attaques corporelles qualifiables d’ignobles ou odieuses faites � un groupe d’hommes, afin de les r�duire, voire les exterminer, notamment pour des raisons raciales, religieuses, philosophiques ou autres, sont susceptibles de mettre � mal la communaut� humaine, soit l’Homme dans son essence et son int�grit�. Finalement, la dignit� humaine impliquerait de d�passer l’homme dans son unit�. Par elle ce serait la famille humaine, dans son essence, son existence et sa permanence que l’on voudrait prot�ger. Ainsi la dignit� humaine tendrait bien � prot�ger l’humanit�. D’ailleurs la Charte europ�enne des droits de l’homme proclame que "consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignit� humaine".
Cependant, le droit positif se concentre uniquement sur la dignit� de la personne humaine. Quelle distinction oppose alors la dignit� des Statuts de Nuremberg � la dignit� de la personne humaine de la loi du 30 septembre 1986 relative � la libert� de communication, dite encore loi L�otard ou encore de la d�cision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 1999 sur la loi relative au PACS ? Le but n’�tant pas de faire une anthologie des d�cisions et textes qui se r�f�rent � la dignit�, il est simplement raisonnable de constater que les normes juridiques envisagent seulement la dignit� de la personne humaine afin de sanctionner "tout acte d’avilissement ou de d�gradation de l’homme" selon l’expression consacr�e du Conseil constitutionnel. En r�alit�, derri�re cette protection de la personne se cache la volont� d’�viter tout d�bordement dans une soci�t� d�termin�e selon un �tat d’esprit et une politique propre � une �poque.
La dignit� de la personne humaine, un principe �thique et une composante de l’ordre public
Dans un arr�t aujourd’hui c�l�bre du 27 octobre 1995, "Commune de Morsang-sur-Orge", et sous l’impulsion des conclusions de l’avocat g�n�ral, Ma�tre Frydman, le Conseil d’Etat a affirm� que "la dignit� de la personne humaine est une composante de l’ordre public". Il consid�re que "l’attraction de lancers de nains consistant � faire lancer un nain par des spectateurs conduit � utiliser comme projectile une personne affect�e d’un handicap physique et pr�sent�e comme telle".
Le Conseil d’Etat conclut que, "par son objet m�me, une telle attraction porte atteinte � la dignit� de la personne humaine". Composante de l’ordre public, "l’autorit� investie du pouvoir de police municipale peut, m�me en l’absence de circonstances locales particuli�res, interdire l’attraction".
Sur le fondement de cette d�cision nationale, la commission des Nations Unies pour les droits de l’homme a �t� saisie par une personne de petite taille, Monsieur Wackenheim, salari� de la discoth�que de Morsang-sur-Orge. Son recours est fond� sur l’article 26 des Pactes de New-York relatif � la discrimination. Le comit�, par une d�cision du 27 septembre 2002, a alors estim� que "l’interdiction n’est pas abusive mais n�cessaire pour prot�ger l’ordre public et notamment les consid�rations de protection de la dignit�".
On constate que la dignit� de la personne humaine est excip�e ind�pendamment de la volont� de la personne victime d’une atteinte. Autrement-dit, la dignit� de la personne prime sur la libert� individuelle, au nom de l’ordre public. Le professeur SAYAH affirme qu’ainsi le Conseil d’Etat relativise la dignit� de la personne humaine. Cependant la dignit� de la personne humaine n’est-elle pas justement instrins�quement relative ? La dignit� de la personne humaine est, en fait et en droit, fonction d’une �poque, d’un lieu, voire de circonstances particuli�res. Autrement-dit elle est conjoncturelle. D’ailleurs l’attraction de lancer de nain import�e des Etats-Unis et de l’Australie ne semble pas avoir �t� interdite dans ces pays. Et l’aurait-elle �t� en France une vingtaine d’ann�es auparavant ?
L’�thique, soeur de la morale ?
Il est alors int�ressant d’observer que nombre d’auteurs voient dans la dignit� de la personne humaine une valeur �thique fondamentale. Concept philosophique, elle serait aussi un concept �thique, notamment dans le sens o� cette dignit� se rapprocherait de l’id�e du respect de soi-m�me par les autres et pour soi-m�me. Cependant, que signifie au juste l’�thique ?
Du flou artistique qui gouverne la d�finition de concepts utilis�s en droit, l’�thique se r�v�le �tre un exemple �clatant, outre celui de la dignit�. Nombre de textes l�gislatifs, de d�cisions jurisprudentielles, d’ouvrages juridiques visent clairement l’�thique. Cependant ne nous est offerte aucune d�finition. Seules les r�flexions philosophiques semblent pr�tes � �clairer le lecteur. La d�finition de l’�thique qu’elles pr�sentent explique alors peut-�tre que la r�f�rence � l’�thique s’arr�te, en droit, � son invocation, laissant ainsi de c�t� sa signification.
Le philosophe, comme doit �galement le faire le juriste consciencieux, se tourne vers l’origine du mot. Le terme �thique viendrait de "ithos", la tenue de l’�me, et de "ethos", l’ensemble des normes n�es du respect dans la mesure. L’�thique serait alors l’art de diriger la conduite selon la morale. L’�thique serait la garantie de la bonne tenue de toute chose, une garantie de l’harmonie, et oserait-on, de l’ordre moral.
Schopenhauer �galement, dans son trait� de 1851 intitul� "Ethique, droit et politique", articule sa r�flexion sur l’�thique autour des notions de bien et de mal, de moralit� et d’immoralit�. Ainsi l’�thique serait �troitement li�e � la morale. Plus, certains revendiquent l’�thique en tant que science de la morale.
Outre le fait que la morale a (ou ait) une connotation mal venue en France, Etat la�que, il est � penser que les juges, l�gislateurs et juristes craignent de fonder explicitement leurs textes, lois, r�flexions sur la morale, notion �minemment floue, vague, fluctuante et mal aim�e du citoyen. L’�thique ne heurterait pas quant � elle l’oreille du citoyen.
Pour autant, son lien de parent� avec la morale en fait un concept �galement mall�able. L’�thique renvoie aux affaires de chaque homme qui par son �ducation, sa culture, a acquis une morale, des valeurs, des principes, ou aucun d’ailleurs. Plus, elle correspond � l’�tat d’esprit d’une �poque, d’un Etat, d’une civilisation, d’une histoire, ce qu’elle pense et estime bon et bien pour l’homme et la soci�t�.
En cons�quence, la dignit� de la personne humaine est devenue officiellement une composante de l’�thique et officieusement un �l�ment de la morale. Ce qui est bon pour l’homme est bon pour la soci�t�. Ce qui porte atteinte � l’homme dans sa dignit� est mal pour lui et tous les hommes, bref est contraire � l’�thique.
En proclamant, le clonage humain crime contre l’esp�ce, le gouvernement actuel, a clairement pris position contre le clonage reproductif et la grande majorit� de nos repr�sentants au S�nat, qui a vot� massivement pour ses nouvelles dispositions en janvier 2003, a ainsi consid�r� que cette pratique heurtait la dignit� de la personne humaine, et donc indirectement l’�thique et la morale.
Dignit� et clonage
Comme il l’a �t� �voqu� ci-dessus, il semble admis que la dignit� de la personne humaine, de l’�tre humain, de l’homme, du genre humain, de l’esp�ce humaine ne recouvrent pas la m�me chose. (Fran�ois BORELLA, le concept de dignit� humaine, Ethique, droit et dignit� de la personne, Economica, 1999, p. 30). Quel est l’�l�ment qui les distingue ?
La dignit� de la personne humaine
Est-ce alors la personne appr�hend�e comme un �tre biologique ou comme un �tre raisonnable et libre ? La r�ponse est essentielle car si l’on consid�re que le clonage d�grade ou avilit l’embryon, il pourrait �tre interdit sur le fondement officiel de la dignit�, et officieusement aujourd’hui sur celui de la morale. Encore faut-il que l’embryon soit qualifi� de personne. Car l� est bien la question. La reconnaissance de la dignit� se noue autour de la notion de personne.
Il semble admis sur ce point que le d�positaire de la dignit� est la personne physique, sujet de droit et dot�e donc de la personnalit� juridique. Ainsi l’article 16 du Code civil relatif au respect du corps humain dispose que "la loi assure la primaut� de la personne, interdit toute atteinte � la dignit� de celle-ci et garantit le respect de l’�tre humain d�s le commencement de sa vie".
Or le statut de l’embryon est flou, impr�cis et surtout embryonnaire comme le dit si bien l’expression. Le Comit� consultatif national d’�thique ne parle-t-il pas au sujet de l’embryon de personne humaine potentielle. Or cette personne humaine potentielle est-elle un sujet de droit dot� de la personnalit� juridique ?
En France, et en l’absence de statut juridique, l’embryon se trouve hors cat�gorie du droit. D’aucuns affirment qu’il aurait alors un statut implicite. Bien. Cependant cela ne nous dit rien sur l’�ventuelle personnalit� juridique qui pourrait lui �tre reconnue. A cela on peut ajouter que la dilution de la notion de dignit� de la personne humaine dans le droit positif lui �te toute sa rigueur. Bref son utilisation est peu cr�dible.
La dignit� humaine et le clonage
Il serait bon de se demander si la dignit� humaine, protectrice de l’humanit�, ne pourrait pas constituer un principe universel reconnu et respect� par tous. D’ailleurs la Charte europ�enne des droits de l’homme de d�cembre 2000 ne proclame-t-elle pas que "consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignit� humaine".
Elle pourrait assurer ainsi la sauvegarde de l’humanit�, au contraire de la dignit� de la personne humaine laquelle permet seulement, par des interventions ponctuelles, de pr�server une cat�gorie d’individus singularis�s par leur sexe, leur taille ou leur �ge et par ricochet une soci�t� d�termin�e.
Le projet de loi relatif � la bio�thique, pr�sent� en janvier 2002 � l’Assembl�e nationale, affirme que la "production d’individus qui poss�deraient les m�mes g�nes dans le noyau de leurs cellules", bref le clonage, conduit "� la n�gation m�me de l’unicit� de chaque �tre humain".
Or cette unicit� contribue � la dignit� de la personne laquelle r�sulterait de l’unicit� du g�nome de chaque individu. Si le clonage conduit � nier l’unicit� de chaque �tre humain, n’affecte-t-il pas in�vitablement l’humanit� ? Par la production d’individus sans reproduction sexu�e est occult�e la diversit� des �tres humains, diversit� qui assure l’essence et l’existence de la famille humaine.
En effet l’humanit� dans son unit� est constitu�e par la diversit� de ses membres. L’humanit� dans sa continuit� est anim�e par le hasard de la reproduction.
Finalement on peut se demander si l’hypoth�se du clonage ne toucherait pas du doigt les actes sanctionn�s par les Statuts de Nuremberg parce qu’inflig�s pour des motifs politiques, religieux ou raciaux, et nous pourrions ajouter, eug�niques. L’interdiction du clonage sur le fondement de la dignit� humaine para�t d�s lors rationnelle � condition d’y voir un principe universel dont la vocation serait notamment de jouer en tous lieux voire tous temps.
C’est indubitablement ce raisonnement qui a conduit le gouvernement � d�clarer le clonage, crime contre l’esp�ce.
D’aucuns invoqueront l’avanc�e n�cessaire de la m�decine et de la science, avanc�e qui est susceptible de profiter � l’homme. Ils ajouteront aussi que les nouvelles d�couvertes ou inventions ont de tout temps provoqu� de fortes r�ticences.
Le clonage reproductif est en revanche susceptible de bouleverser fondamentalement la reproduction des �tres humains, ce qui perturbe en cons�quence la famille humaine.
En tout �tat de cause, on a pu voir par le panorama qui a �t� fait des l�gislations europ�ennes, que les r�ponses pouvaient varier mais qu’en d�pit de ces l�gislations diff�rentes, les instances europ�ennes, soulignent cet aspect de la dignit�.
La dignit� et l’Europe
Ainsi la Convention pour la protection des Droits de l’Homme et de la dignit� de l’�tre humain � l’�gard des applications de la biologie et de la m�decine, entr�e en vigueur le 1er d�cembre 1999, est pr�sent�e comme �tant "le premier instrument juridique international contraignant en ce qui concerne la protection de la dignit�, des droits et des libert�s de l’�tre humain contre toute application abusive des progr�s biologiques et m�dicaux".
Ceci �tant pos�, "les Etats membres du Conseil de l’Europe, les autres Etats et la Communaut� europ�enne signataires de la pr�sente Convention" se disent "convaincus de la n�cessit� de respecter l’�tre humain � la fois comme individu et dans son appartenance � l’esp�ce humaine et reconnaissent l’importance d’assurer sa dignit�".
La convention sous-entend la distinction entre la dignit� humaine et la dignit� de la personne humaine. Respecter en effet l’�tre humain dans son appartenance � l’esp�ce humaine m�ne in�luctablement � la protection de la famille humaine. De plus en reconnaissant sa dignit�, la Convention peut aussi bien viser celle de l’�tre humain que celle de l’esp�ce humaine. D’ailleurs les m�mes parties � la convention se d�clarent conscientes "des actes qui pourraient mettre en danger la dignit� humaine par un usage impropre de la biologie et de la m�decine".
Sans ambiguit� la Convention prend conscience des risques de pratiques m�dicales pour l’humanit�. Certes, les parties conviennent alors dans l’article premier de la convention qu’elles "prot�gent l’�tre humain dans sa dignit�". Autrement-dit, seule la dignit� de la personne humaine est abord�e. Pour autant, si la distinction entre dignit� humaine et dignit� de la personne humaine n’est pas claire et limpide pour les hautes instances, essentielle est la r�f�rence, par le pr�ambule de la convention, de son existence, en d�pit de l’absence m�me de cons�quences tir�es de la distinction. L’esprit est l�.
Un protocole additionnel sur la protection des Droits de l’Homme et de la dignit� de l’�tre humain, entr� en vigueur le 1er mars 2001, a �t� ajout� � la Convention. "R�agissant � la r�ussite du clonage de mammif�res, en particulier par la division embryonnaire et par le transfert de noyau, le Conseil de l’Europe a voulu emp�cher toute d�rive ult�rieure, consistant � appliquer � l’homme cette possibilit� technique".
Ainsi l’article premier du Protocole interdit "toute intervention ayant pour but de cr�er un �tre humain g�n�tiquement identique � un autre �tre humain vivant ou mort". L’article 2 exclut toute d�rogation � cette interdiction.
Absolus, ces interdits sont justifi�s, d’une part, par "la n�cessit� de prot�ger l’identit� de l’�tre humain", et par cons�quent la famille humaine, le Protocole aspirant � "pr�server le caract�re al�atoire de la combinaison g�n�tique naturelle de l’�tre humain laquelle lui conf�re sa libert� et son caract�re unique".