Depuis quelques mois, la question sur les relations industriels - distributeurs est relanc�e. Nicolas Sarkozy a propos� de revenir sur la loi Galland, en place depuis huit ans, pour autoriser � nouveau de fortes promotions sur les grandes marques et � terme, autoriser la revente � perte.
Mais quelles sont les implications pour les PME qui �taient cess�es �tre prot�g�es par cette loi et pour les consommateurs suppos�s �tre les premiers b�n�ficiaires de cette baisse des prix ?
La loi Galland, adopt�e en 1996, oblige les distributeurs � reporter les prix figurant sur les factures des industriels sur leurs prix en magasin (un prix inf�rieur est alors interdit car il repr�sente une revente � perte), sans tenir compte des autres services pay�s par les industriels correspondant � des accords de " coop�ration commerciale ", comme les marges arri�res (qui sont des prix demand�s par les distributeurs aux fabricants en contrepartie de bonnes places dans les rayons et les catalogues publicitaires, cf. newsletter 8, A. Missonier).
Si la loi Galland est remise au devant de la sc�ne, c’est � cause, en autre, de l’impasse du mod�le de grande distribution traditionnelle qui s’exprime principalement par une r�orientation des consommateurs vers les magasins de hard discount. Un rapport command� par l’Institut Fran�ais du Marketing (IFM) et r�alis� par l’IFOP aupr�s de consommateurs habitu�s � fr�quenter des magasins de hard discount montre que les consommateurs sont de plus en plus nombreux � se diriger vers ces formats de distribution.
En effet, "Avec un taux de p�n�tration de pr�s de 65%, c’est bien l’ensemble de la population qui est s�duite par ces formats de magasins", pr�cise Florence Soyer, directrice adjointe du p�le marketing � l’IFOP. La r�ponse du gouvernement a donc �t� une proposition de suppression voire d’assouplissement de cette loi visant � interdire la revente � perte.
Mais qu’en pensent consommateurs, industriels et distributeurs ?
Les avis restent aujourd’hui encore partag�s. Les consommateurs y voient une opportunit� de faire baisser les prix qu’ils estiment avoir beaucoup augment�, et ce surtout dans les grandes enseignes de distribution. Guy Canivet, premier pr�sident de la Cour de cassation, a remis le 18 octobre 2004 un rapport au ministre de l’�conomie sur les relations entre la grande distribution et les industriels. Selon ce rapport, il existe un �quilibre " artificiel de march� " qui explique l’�volution � la hausse des prix des produits � la consommation d� notamment � la protection des prix.
Pourtant, avec une progression de l’indice alimentaire de l’INSEE (hors tabac) qui est � peine au dessus de l’inflation, les prix � la consommation ne semblent pas �tre si sur�lev�s.
On peut alors se demander si cette suppression (ou assouplissement) serait vraiment la solution miracle pour relancer la consommation via un remodelage du mod�le des hypermarch�s. On peut en douter si l’on rel�ve que la baisse volontaire des prix de 1,57% r�alis�e en septembre n’a toujours pas relanc� les ventes.
En ce qui concerne les fournisseurs dont une partie sont des PME, on peut lire sur le site du premier ministre que cette loi s’av�re d�j� �tre la cause d’une fragilit� des PME et du commerce de proximit�.
En effet, lors des n�gociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, les PME sont en situation de faiblesse par rapport aux grands groupes industriels puisqu’elles ne b�n�ficient pas, par exemple, des m�mes avantages que les grands groupes en termes d’acc�s aux catalogues ou aux lin�aires. Il en r�sulte une fragilit�. De m�me, le dispositif actuel est responsable toujours selon ce texte, d’une mise en danger du commerce de proximit�. Le rapport conclut que " l’�quilibre actuel n’est pas satisfaisant ", et s’est �tabli "au d�triment du consommateur ".
Pourtant, on ne peut pas dire que cela allait mieux pour les PME avant cette loi. Mais depuis l’inflation des prix pratiqu�s par les marques nationales, qui a pouss� les enseignes � cr�er des marques de distributeurs, la pression exerc�e sur les prix pratiqu�s par les entreprises a augment�, note le Pr�sident de la F�d�ration des Entrepreneurs et Entreprises de France (FEEF).
Il craint alors "de repartir dans une guerre des prix dangereuse ! " suite � la suppression de cette loi. En effet, en autorisant la pratique de prix d’appel sur les grandes marques telles que Danone ou Coca-Cola, les PME craignent de voir s’accentuer les pressions sur leurs co�ts. Selon le Pr�sident de l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA), les fabricants sont surtout attach�s au maintien de l’interdiction de la revente � perte car les produits ne doivent pas �tre vendus � un prix inf�rieur � leur co�t.
Les PME, qui construisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires sur les marges de profit des biens qu’elles commercialisent, risquent forcement d’�tre les plus expos�es � la baisse de celles-ci. D’ailleurs la commission Canivet, consciente de ce risque, a �tabli une modalit� favorisant les PME en stipulant qu’un distributeur, ayant accru pendant deux ann�es cons�cutives la part de ses lin�aires et de ses instruments promotionnels accord�e aux PME, pourra agrandir de 15% ses magasins, sans autorisation sp�cifique. Reste alors � savoir si cette mesure pourra compenser les d�savantages induits par la suppression de la loi.
Les distributeurs qui sont les plus fervents d�fenseurs de l’abolition de cette loi, comme Michel-Edouard Leclerc, se sont eux montr�s tr�s satisfaits du rapport Canivet.
Le PDG du groupe Carrefour, Daniel Bernard, s’est "r�joui de la volont� de passer d’un syst�me � l’autre sans rupture brutale et de fa�on concert�e", et l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) est ravie de voir que M. Sarkozy reprend ses " principales id�es " (le monde du 20 octobre 2004).
Pourtant on peut s’interroger sur les retomb�es d’un tel changement.
Un avis du Conseil de la concurrence, rendu le 18 octobre 2004, sur les pratiques anticoncurrentielles dans les grandes surfaces, suite � une demande de l’association UFC - Que choisir, pr�cisait que "le d�veloppement excessif des marges arri�res pr�sente un risque de d�veloppement de pratiques anticoncurrentielles, notamment l’imposition d’un prix de revente minimal, la collusion entre deux marques concurrentes ou l’�viction de concurrents par une entreprise dominante".
C�t� financier, les analystes anticipent que les plus grosses entreprises de grande distribution seront les seules gagnantes et que les plus petits comp�titeurs tels que Casino, Intermarch�, Auchan ou Cora, risquent quant � eux, de subir des effets destructeurs � long terme. Un probl�me de concentration se posera alors.
Probl�me qui est pris en compte par les politiques puisque ce rapport sugg�re que toute op�ration de concentration qui permettrait � un distributeur de d�tenir, localement, plus de 25% de part de march�, devra �tre soumise au feu vert de Bercy. Cette ambigu�t� entre l’appr�ciation � court terme du pouvoir d’achat des consommateurs et les possibles effets n�gatifs � long terme (r�duction du bien �tre du consommateur due � une situation d’oligopole sur des march�s trop concentr�s) tendent � faire penser que les gains du consommateur, avanc�s pour soutenir cet assouplissement, est un argument sp�cieux.
A l’heure d’aujourd’hui, on sait que la r�forme de la loi Galland propos�e par le ministre de l’�conomie ne sera pas amend�e. Il est n�anmoins toujours question d’un accord entre les industriels et les distributeurs comprenant deux volets : une mod�ration tarifaire de la part des industriels et une r�duction de la coop�ration commerciale de la part des distributeurs (avis de la Direction G�n�rale de la Concurrence, de la Consommation, et de la R�pression des Fraudes, DGCCRF).
Mais, cet accord est encore loin d’�tre appliqu� puisque un communiqu� du 24 novembre, issu de la r�union des repr�sentants des industriels et des distributeurs sur le suivi de cet accord concluait que " les participants ont pr�vu de se retrouver avant la mi-d�cembre pour faire le point sur les modalit�s d’application concr�tes de l’accord par les partenaires �conomiques " et ne prend en aucun cas les dispositions (pourtant claires) �nonc�es par M. Sarkozy.
Or, les grandes enseignes s’�taient engag�es � r�duire leurs marges arri�res en contrepartie d’une mod�ration tarifaire de la part des industriels, mais n’ayant pas encore re�u les tarifs de leurs fournisseurs pour l’ann�e 2005, il est difficile pour eux de mesurer l’ampleur de cette mod�ration.
Les PME et les consommateurs ont donc tout int�r�t a rest� vigilants sur les modalit�s choisies afin de ne pas voir se d�grader respectivement, leurs pouvoirs de n�gociation et d’achat.
Sabine Garabedian
ADMEO/CNRS
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