AVOCATS-PUBLISHING.COM
Cabinet d'Avocats
11, rue Fénelon - 75010 Paris | Tél.: 01 53 40 91 90
Accueil > Presse et Communication
image1
PRESSE & COMMUNICATION
Image, libert� d’expression etc...
On ne sort de l’ambiguit� qu’� son propre d�triment, (cardinal de Retz)
Publié le lundi 3 mai 2004
Par Anne Pigeon-Bormans
Même rubrique
Vie priv�e et droit � l’image des biens
Faut-il ouvrir les tribunaux aux cam�ras ?
La Rumeur
L’atteinte � la r�putation des entreprises
L’IMAGE et LE DROIT
La loi de 1881, et le concept de responsabilit� � l’�preuve d’Internet.
Anodin
Triste jour pour les parodies
La France, Entre mauvaise image et bonne r�putation
Vie priv�e et droit � l’image des personnes
Positionnement et Statistiques Gratuites

Merci � Delphine VALLETEAU de MOULLIAC pour ses recherches et sa collaboration � ce texte.

Le 16 juillet 2003, Messieurs Patrick BLOCHE et Jean-Marc AYRAULT ont fait une proposition de loi � l’assembl�e visant � donner un cadre juridique � l’image. Serait ainsi ins�r� au code civil, un article 9-2 qui disposerait : "chacun a un droit � l’image sur sa personne. Le droit � l’image d’une personne est le droit que chacun poss�de sur la reproduction ou utilisation de sa propre image. L’image d’une personne peut, toutefois, �tre reproduite ou utilis�e d�s lors qu’il n’en r�sulte aucun pr�judice r�el et s�rieux de celle-ci." Un article 544-1 transposerait dans le domaine des biens la m�me tendance.

L’expos� des motifs de cette proposition de loi - n°1029 - visant � donner un cadre juridique au droit � l’image et � concilier ce dernier avec la libert� d’expression d�montre � lui seul la complexit� grandissante de cette tumultueuse relation, vie priv�e, vie publique pour reprendre le titre de l’�mission de Mireille DUMAS sur France3 :

"Mesdames, Messieurs,

Il n’est plus possible d’ignorer que le droit � l’image est devenu un droit absolu, sans restriction aucune. Il suffit pour s’en convaincre de constater les milliers de condamnations prononc�es ces derni�res ann�es � l’encontre aussi bien des photographes que des organisateurs d’exposition ou des �diteurs de presse et de livres.

La simple utilisation de l’image d’une personne, sans pr�judice particulier pour celle-ci, mais aussi depuis peu celle de l’image d’un bien, sont devenues r�pr�hensibles. Dans ce domaine, les pouvoirs du juge sont sans limites et les proc�s abusifs se multiplient. Les tribunaux en sont arriv�s � mettre sur un pied d’�galit� l’image d’une personne et celle d’un animal, d’un immeuble, d’un bateau ou encore d’un paysage.

Sous le r�gime actuel du droit � l’image, l’utilisateur d’une image, qu’il en soit ou non l’auteur, qu’elle repr�sente des biens ou des personnes, doit s’assurer que les personnes ou les propri�taires des biens repr�sent�s ont bien approuv� express�ment et par �crit l’utilisation en cause. Une telle autorisation s’av�re souvent extr�mement difficile � obtenir, soit que le titulaire du droit � l’image �prouve des r�ticences quant � l’utilisation qu’il est possible d’en faire, soit, plus fr�quemment, que ce titulaire demeure introuvable.

Le risque pris par l’utilisateur d’une image en l’absence d’autorisation est, � l’heure actuelle, suffisamment grand pour �tre totalement dissuasif. En effet, les dispositions de la jurisprudence actuelle ouvrent la possibilit� � tout titulaire d’un quelconque droit � l’image d’obtenir une compensation financi�re, quand bien m�me l’utilisation litigieuse ne lui causerait aucun pr�judice. L’effet pervers de cette jurisprudence, pourtant tr�s louable dans ses intentions protectrices des droits de la personnalit� et du droit de propri�t�, est d’inciter nos concitoyens � marchander leur image et celle de leur bien ou, pire encore, de provoquer chez eux des r�flexes proc�duriers dignes des pires recours d’outre-Atlantique.

Ce droit absolu � l’image, de construction uniquement pr�torienne, n� de l’interpr�tation extensive de textes tr�s g�n�raux du code civil, entrave de plus en plus les missions de p�dagogie, de culture et d’information qui incombaient jusqu’ici aux gens de l’image. La libert� d’expression est en souffrance. En cons�quence, le r�le et la profession des gens de l’image sont en danger.

Face � cette situation, nous avons le devoir d’agir et de trouver un double compromis : un compromis de fond entre le droit � l’image, d’une part, et les int�r�ts de notre soci�t� et des gens de l’image, d’autre part ; un compromis de forme entre rigidit� de l’encadrement l�gislatif, d’une part, et libert� d’appr�ciation des cas d’esp�ce par les tribunaux, d’autre part. Il faut arbitrer entre le respect des personnes et la libert� d’information et de la culture. Ce double compromis est incontestablement difficile � trouver, mais il est n�cessaire. L’�tat du droit tel qu’il r�sulte de la jurisprudence actuelle, en ce qu’il ne respecte pas ce double �quilibre, n�cessite d’�tre corrig�.

L’objet de la pr�sente proposition vise donc tout � la fois � prendre acte de la reconnaissance du droit � l’image par la jurisprudence actuelle et � infl�chir celle-ci dans un sens plus conforme au respect de la libert� d’expression. Nul ne devrait pouvoir agir en justice pour revendiquer un droit � l’image sans rapporter la preuve d’un agissement fautif et d’un r�el pr�judice."

Cette proposition a d�j� fait couler beaucoup d’encre, ou tout au moins solliciter de nombreux claviers sur divers sites de droit mais �galement dans les revues et les auteurs s’interrogent sur l’opportunit� d’exiger du pr�judice qu’il pr�sente un caract�re s�rieux.

Le droit de l’image rattach� actuellement � l’article 9 du code civil conna�t en r�alit�, une limite importante : le droit � l’information du public. Ce droit constitutionnel est �galement pr�vu � l’article 10 de la convention europ�enne des droits de l’homme auquel, la cour de cassation, pour justifier des atteintes � la vie priv�e ou au droit � l’image, fait r�f�rence depuis d�j� plusieurs ann�es.

Par ailleurs, si la reconnaissance par les tribunaux du droit � l’image a certes incit� des individus toujours plus nombreux, stars et anonymes, � r�clamer des dommages-int�r�ts du fait de l’utilisation abusive de leur image, l’id�e selon laquelle ces actions judiciaires sont devenues de v�ritables sources de revenus pour ces demandeurs reste encore � prouver.

Le recours � l’article 10 de la CEDH

L’article 10 de la CEDH pr�voit que :

"Toute personne a droit � la libert� d’expression. Ce droit comprend la libert� d’opinion et la libert� de recevoir ou de communiquer des informations ou des id�es sans qu’il puisse y avoir ing�rence d’autorit�s publiques et sans consid�ration de fronti�re ".

La cour de cassation fait d�sormais et de mani�re habituelle, r�f�rence � cette disposition pour justifier des atteintes au droit � l’image. Selon la haute juridiction, d�s lors qu’une image illustre un fait d’actualit� de fa�on pertinente, aucune autorisation n’est requise pour diffuser une telle image.

Au fil des d�cisions, s’�laborent ainsi des crit�res qui seraient de nature � donner aux professionnels de la presse et de la communication une visibilit� dans l’utilisation des clich�s qui leur sont fournis par les photographes. Outre que l’image doit illustrer un fait d’actualit� de fa�on pertinente, la cour de cassation retient que celle-ci doit avoir une relation directe, servir d’illustration � un �v�nement d’actualit� sous r�serve du respect de la dignit� de la personne reproduite (publication de photographies repr�sentant une victime de l’attentat du RER B du 25 juillet 1995). De m�me, la libert� de communication des informations justifie la publication de l’image d’une personne impliqu�e dans une affaire judiciaire, sous r�serve du respect de la dignit� de la personne humaine (cour de cassation des 20 f�vrier et 12 juillet 2001).

Fort de ce pragmatisme dans la justification des atteintes port�es au droit � l’image, la cour de cassation a dans le m�me temps, fait �voluer la notion de vie priv�e. Elle a ainsi admis dans un arr�t rendu le 3 avril 2002, que le caract�re anodin ou public de certaines informations, qui - supposait-on alors, �taient strictement d’ordre priv�e (incartade d’un �poux, divorce...) - justifiait l’atteinte port�e � la vie priv�e par la presse, et jug� que "justifie l�galement sa d�cision la cour d’appel qui pour rejeter une demande fond�e sur une atteinte � la vie priv�e, rel�ve que l’une des informations relat�es constitue un fait public et que les autres pr�sentent un caract�re anodin".

Le 23 avril 2003, la Cour de cassation a confirm� cette position selon laquelle certains faits de la vie priv�e, compte tenu de leur dimension ou de la notori�t� de ceux qu’ils int�ressaient, avaient un caract�re de fait public et recourant � un nouveau crit�re - les "n�cessit�s de l’information" a consid�r� que celles-ci justifient l’atteinte port�e � des faits de la vie priv�e.

R�paration du pr�judice

Si " toute atteinte � la vie priv�e induit n�cessairement l’existence d’un pr�judice" (cour de cassation 5 novembre1996), l’allocation de dommages-int�r�ts - un peu comme les antibiotiques en m�decine - n’est pas automatique et nombreuses sont les d�cisions qui n’accordent aux demandeurs qu’un euro symbolique faute pour eux d’avoir fait la d�monstration d’un pr�judice particulier.

Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris dans une d�cision du 12 septembre 2000, qui concernait le top-model AK. retient que la transgression du droit � l’image est de nature � provoquer un dommage moral et le cas �ch�ant un pr�judice patrimonial lorsque l’int�ress� par son activit� ou sa notori�t� conf�re une valeur commerciale � son image. En l’esp�ce, le tribunal n’accordera au mannequin que la somme symbolique de 1 franc au motif que n’ont pas �t� d�montr�s les pr�judices, moral, financier et de carri�re, invoqu�s.

De m�me, la cour d’appel de Toulouse dans un arr�t du 10 d�cembre 2002, � propos d’un VIP photographi� avec sa compagne dans un espace public, a jug� que "s’il existe un pr�judice moral, le caract�re anodin de la photographie ne portant pas atteinte � la dignit� de sa personne justifie que ne lui soit allou� que la somme de 1 franc � titre de dommages et int�r�t ".

Plus r�cemment, le TGI de Paris, dans une d�cision du 7 juillet 2003, a accord� la modeste somme de 1 500 euros � la com�dienne AD, pour violation de son droit � l’image. Si le tribunal retient le caract�re ind�cent de la photographie incrimin�e, il note �galement le fait que la demanderesse a r�guli�rement accept� de s’exprimer dans divers organes de presse sur les "sentiments qui sont les siens lors du tournage de sc�nes �rotiques dans plusieurs films".

Pertinence, n�cessit�s de l’information, faits anodins ou rendus publics, pr�judice symbolique... Le visa de l’article 10 de la convention europ�enne des droits de l’homme comme fondement de la libert� d’expression invite le juge national � une attitude pragmatique de type "common law ".

En tout �tat de cause, l’application des normes europ�ennes nous y invite dans tous les domaines du droit. Ainsi la directive europ�enne du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la soci�t� de l’information, fait-elle directement r�f�rence � la notion de fair use du copyright am�ricain et on aurait tort d’y voir l�, syst�matiquement, de l’arbitraire.

Mieux, il faut s’habituer � cette id�e que l’on peut difficilement anticiper sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire dans le domaine des droits de propri�t� incorporelles et qu’� l’heure de la t�l�-r�alit�, on ne distingue plus ce qui ressort de la vie priv�e ou de la vie publique...

Enfin, on ne risque pas grand-chose � exercer son art ou son m�tier de bonne foi.

Auteur
image2
Anne Pigeon-Bormans
Avocat au Barreau de Paris
Post-Scriptum

Basile Ader, "Le droit � l’image, l’impertinence et le d�shonneur", L�gipresse n°209 III p 28 ;

Patrick Sergeant, "Les limites pos�es � la libert� d’informer dans le cadre de la vie priv�e : la tentation de l’arbitraire", L�gipresse n°208 II p1 ;

G�rard Haas, "Droit � l’image et libert� d’expression : un compromis difficile", www.clic-droit.com ;

www.assemblee-nat.fr/12/propositions/pion1029.asp ;

Sandrine Albrieux, " Une intervention l�gislative en mati�re de droit � l’image est-elle justifi�e ?", www.cejem.com/article ;

Nathalie Mallet-Poujol, "Le droit � l’image", www.educnet.education.fr/juri/vieprivee/image.

www.juriscom.net/txt/jurisfr/img/resum.htm.

Retour au haut de page

Retour au sommaire