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PRESSE & COMMUNICATION
L’atteinte � la r�putation des entreprises
Par Geoffrey Le Taillanter
Publié le juin 2002
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" Pour acqu�rir la r�putation il ne faut qu’un jour, et le hasard peut donner ce jour. Mais pour la conserver, il faut payer de sa personne presque � tous les instants". (Montesquieu - Discours de Bordeaux).

La doctrine comme la jurisprudence se sont pendant longtemps, d�sint�ress�es de ce pr�judice. Aujourd’hui un courant dynamique plaide pour une prise en compte accrue de cette notion. Au plan juridique, la r�putation faute de reconnaissance textuelle prend plusieurs visages : en mati�re p�nale, elle est comprise dans les termes d’honneur et de consid�ration ; en droit de la concurrence, dans celui d’image de marque.

Deux types de dangers guettent, en effet, la r�putation de l’entreprise : la presse et la concurrence. Or, dans le domaine sp�cifique de l’industrie du luxe, les atteintes proviennent majoritairement de la seconde. Il convient, d�s lors, de comprendre ce que sous-entend le pr�judice sp�cifique d’atteinte � la r�putation en situation de concurrence.

L’objet du pr�judice

Une �tude approfondie du contentieux des atteintes � la r�putation montre que le juge ne prend pas en compte le simple fait que la marque soit connue, mais un ensemble de crit�res pour �laborer ce que cette marque est cens�e repr�senter pour le consommateur. Ainsi, pour que se forme une r�putation, il convient que se greffe un savoir-faire, une reconnaissance du public, une identit� claire, une notori�t� pr�existante. Pour Littr�, elle est "la connaissance, parmi un public plus ou moins nombreux, du nom, des actions, des oeuvres d’un homme".

Cette reconnaissance n’a pas forc�ment besoin d’�tre valorisant, mais simplement, qu’� un nom, le consommateur associe imm�diatement un produit dans sa sp�cialit� (cosm�tique, voiture ...), dans sa gamme (luxe, bon march�...). La r�putation d’une maison se place donc au rang de valeur pour l’entreprise. Mais peut-elle s’incorporer dans l’entreprise : est-ce simplement une valeur ou �galement un bien de l’entreprise ?

La question est difficile car tr�s peu tranch�e par la jurisprudence. N�anmoins le Professeur Mousseron �nonce "Utile et rare, une valeur, au sens �conomique, devient un bien, au sens juridique du mot, lorsque la soci�t� r�pond, par le droit, aux soucis compl�mentaires de r�servation et de commercialisation de son ma�tre du moment". C’est �galement ce que tend � �tablir le juge. Ainsi dans un arr�t de 1993, la Cour d’appel de Paris a estim� que " Consid�rant que la soci�t� ne fonde son action en r�paration ni sur la baisse de son chiffre d’affaires, ni sur la perte de la client�le, mais sur l’atteinte port�e � son enseigne par une campagne de d�nigrement " , il y avait lieu de sanctionner cette atteinte. La cour consacrant ainsi une certaine autonomie de la notion de r�putation de l’entreprise. Elle ajoute, par ailleurs, dans son �valuation des dommages-int�r�ts, qu’il s’agit "d’un dommage effectif caus� � un bien incorporel compris dans ses �l�ments d’actifs, valoris� par ses investissements et sa politique commerciale". Cet arr�t semble ainsi, donner un statut juridique � la r�putation d’une entreprise.

Incorporelle par essence, la r�putation exige un support pour se mat�rialiser : "C’est l’un des traits fondamentaux de la notion, son existence requiert un support porteur sans que jamais cependant il ne se confonde avec lui" (H.Maccioni). L’atteinte � ce support concr�tisera le pr�judice d’image. Ainsi le d�nigrement portera sur l’enseigne ou le slogan publicitaire l�, o� l’imitation portera sur la marque. Cette derni�re est, d’ailleurs, le support privil�gi� de la r�putation de l’entreprise et de ses produits. C’est elle, associ�e souvent au logo, qui identifie et situe les produits dans l’esprit du public. Ainsi, un arr�t du tribunal de grande instance de Paris de 1988, insiste sur le fait "qu’en faisant usage de ces marques (Chanel) sur des v�tements de tr�s m�diocre qualit� et sous une forme particuli�rement commune, X a port� atteinte � l’image de marque de la soci�t� Chanel".

Le pr�judice peut r�sider �galement, dans la d�pr�ciation de l’image de l’entreprise par l’atteinte � une symbolique publicitaire, � un slogan. Le logo de l’entreprise peut ainsi refl�ter son image de marque : Europe 1 utilisait comme logo une poche bleue, la soci�t� NRJ s’en est servie pour d�nigrer la radio. Le juge y voit un d�nigrement par l’utilisation du support (outre la condamnation pour contrefa�on) et ce, m�me si celle-ci ne l’utilisait plus. Cet arr�t est int�ressant � un autre titre car le juge �nonce "que l’argumentation des appelantes, selon laquelle Europe 1 n’aurait pas qualit� � invoquer la concurrence d�loyale faute de pouvoir se plaindre d’un d�tournement de client�le, est d�pourvue de pertinence".

Ainsi, l’atteinte � la r�putation de l’entreprise existe sans la n�cessaire survenance d’un pr�judice purement �conomique.

Le pr�judice

Le pr�judice est, selon nous, global. Le concurrent d�stabilise l’entreprise par des attaques contre son capital corporate. Car, quel est l’objectif d’une image de marque, d’une r�putation, si ce n’est de graver dans l’esprit du public une r�f�rence au produit, solide, constante et m�me invariable. Les formes de la d�stabilisation sont d�s lors, assez diverses : une imitation entra�nera une vulgarisation ou une banalisation du produit et le consommateur n’aura plus, apr�s cette atteinte, la m�me r�f�rence face au produit : les efforts de marketing, de packaging par exemple seront annihil�s. Le d�nigrement, lui, va d�stabiliser toute la communication du groupe, ses campagnes publicitaires, son action dans le m�c�nat, il finira par brouiller sa r�putation corporate.

Enfin, la d�sorganisation d�stabilisera l’ensemble du r�seau de distribution qui est un vecteur efficace de la r�putation d’un groupe. L’atteinte port�e � la r�putation engendre donc bien un d�tournement d’investissement (publicitaire, marketing, commercial au niveau de l’organisation) et le pr�judice g�n�ral constitue une d�stabilisation se traduisant par une perte de rep�re dans l’esprit du consommateur et un brouillage de l’image de la soci�t� ainsi attaqu�e.

L’�valuation et la r�paration de ce pr�judice

Si l’entreprise peut assez facilement prouver un pr�judice contre un concurrent qui aurait port� atteinte � sa r�putation, la r�paration de celui-ci pose probl�me tant aux praticiens qu’� la doctrine, en raison du concept m�me de r�putation.

Jean-Pierre Piolet rel�ve cette complexit� de la notion de r�putation : "longue � b�tir, d�licate � cultiver, la r�putation est un patrimoine moral et financier que chacun pressent tout en reconnaissant la difficult� de sa mesure". Malgr� diff�rentes tentatives (Messieurs Nussenbaum et Toporkoff), il n’existe pas en ce domaine de m�thode arr�t�e pour la r�paration par �quivalence d’une atteinte � la r�putation. Longtemps, la doctrine a estim� que seule la perte de client�le r�sultait d’un acte de concurrence d�loyale, les autres pr�judices n’�tant que des �tapes interm�diaires vers cette in�luctable finalit�. Or, la perte d’image occasionn�e par une telle atteinte sera fatalement ravageuse dans l’esprit du consommateur et le conduira peut-�tre � s’adresser � plus ou moins long terme aux concurrents.

Ainsi, l’imitation d’un produit de luxe pourra d�valoriser la r�putation de la marque rapidement ou � plus longue �ch�ance sans que l’on puisse v�ritablement savoir si le consommateur se d�tourne du produit seulement du fait de cette atteinte ou en partie seulement, � cause de celle-ci. Elle peut �galement engendrer une perte de confiance du march�.

La question du pr�judice d’image est donc complexe. Comment, en effet, r�parer une atteinte � la r�putation ? Dans le cadre de la responsabilit� civile ou m�me de la diffamation, les faibles moyens des d�fendeurs et l’importance du principe de libert� d’expression sont autant d’obstacles � une r�paration ad�quate de ce type de pr�judice.

Michel Toporkoff a propos� une m�thode d’�valuation du pr�judice d’image int�ressante. Partant du constat d’une m�connaissance des magistrats et des avocats dans le domaine marketing, il propose une d�marche plus scientifique. Il propose, en effet, de prendre en compte, pour l’�valuation du pr�judice, toute la cha�ne de commercialisation du produit qui a souffert d’une atteinte : le conditionnement, le r�f�rencement et les investissements publicitaires r�alis�s sur le produit correspondant au montant des investissements endommag�s. Il sugg�re ensuite, de r�aliser une enqu�te (sp�cificit�, r�putation, confiance) pour d�terminer la perte d’image cons�cutive � l’atteinte et d’�tablir les r�sultats entre cette enqu�te et celles qui sont r�alis�es aupr�s de la client�le n’ayant pas eu connaissance de l’atteinte. Enfin, les dommages-int�r�ts seraient calcul�s sur la part de la perte d’image dans les investissements effectu�s pour le produit.

Int�ressante et applicable, cette m�thode peut �tre utilis�e dans tous les types d’atteintes � la r�putation r�sultant d’un concurrent : imitation, d�sorganisation, d�nigrement. N�anmoins, une autre m�thode, associ�e � la publication de la d�cision, pr�sente des vertus de simplicit� et d’efficacit� : le remboursement de tous les frais occasionn�s pour r�tablir la r�putation de l’entreprise apr�s les atteintes, ou plus vraisemblablement ceux qui sont pr�visibles, normaux (par rapport au prix moyen des locations d’espaces publicitaires par exemple). Elle se rapprocherait de l’id�e de r�paration int�grale du pr�judice � savoir r�tablir l’entreprise dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant l’atteinte.

Tous les probl�mes rencontr�s dans la r�paration du pr�judice de r�putation naissent de la difficult� m�me d’�valuer v�ritablement celle-ci : elle peut �tre pour les entreprises tr�s fluctuantes et les atteintes, avoir des cons�quences �ph�m�res comme durables.

N�anmoins, la r�putation s’av�re �tre une valeur patrimoniale vitale pour les maisons de luxe, dont la notori�t� est particuli�rement prot�g�e, pour qu’elle soit abandonn�e � la seule communication et le droit doit alors suppl�er efficacement le marketing.

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