Chez l’avocat fran�ais du d�but du XXI�me si�cle, l’ind�pendance est une caract�ristique multiforme qui concerne de nombreux domaines de l’exercice professionnel.
L’ind�pendance de l’avocat va d’une posture morale, que l’on peut assimiler au courage, jusqu’� la conqu�te de cet espace de libert�s fonctionnel particulier qui lui permet de n’avoir pas de comptes v�ritables � rendre � son client, d�s lors qu’il est �tabli qu’il a, g�n�ralement, voulu servir ses int�r�ts.
On utilisera ici la division de pr�sentation sugg�r�e par Lucien KARPIK ("Les avocats, entre l’Etat, le public et le march� XIII�me/XX�me si�cles", Gallimard, Biblioth�que des Sciences Humaines 1995) qui envisage le m�me sujet en distinguant l’ind�pendance collective (1), chapitre qui consid�rera la profession dans ses rapports � l’Etat, aux corps constitu�s et au march�, de l’ind�pendance individuelle (2), qui consid�re l’avocat dans ses rapports avec le client, les autres avocats, et, enfin, les autorit�s ordinales et politiques.
1. L’Ind�pendance collective
1.1 Historique
« Les avocats tant du parlement que des baillages et autres justices royales, jureront sur les saints �vangiles qu’ils ne se chargeront que de causes justes, et qu’ils les d�fendront diligemment et fid�lement ; et qu’ils les abandonneront d�s qu’ils conna�tront qu’elles ne sont point justes. Et les avocats qui ne voudront point faire ce serment seront interdits jusqu’� ce qu’ils l’ayent fait. » (extrait de l’Ordonnance Royale du 23 octobre 1274 sur les fonctions et honoraires des avocats. Recueil g�n�ral des anciennes lois fran�aises d’apr�s ISAMBERT T2 pages 652-654).
Ce texte fondateur, dans lequel s’ancre la m�moire des avocats d’aujourd’hui, est consid�r� comme le point de d�part de l’histoire ordinale fran�aise, est, en fait, la premi�re et forte atteinte � l’ind�pendance de l’avocat ; mais ce m�canisme d’exclusion et de contr�le royal allait assurer au corps qu’il constituait la post�rit� qui permet aujourd’hui � ses membres de s’enorgueillir d’avoir �t�, dans l’histoire de la monarchie centralisatrice et autoritaire, le premier contre-pouvoir institutionnel v�ritablement efficace.
L’histoire collective des avocats est une succession de crises, de mutineries, de sursauts collectifs et de r�voltes qui voit chaque fois, au moins jusqu’� la R�volution, le pouvoir central s’incliner devant l’obstination d’un corps de notables, fort de son savoir et de la technicit� de sa dialectique ; jamais on n’osa l’opprimer par la violence d’Etat, de peur de rompre un fragile �quilibre social.
On citera pour m�moire :
La d�mission collective des avocats pour protester contre l’arr�t du Parlement du 13 mai 1602, les contraignant � faire appara�tre leurs honoraires au bas des d�lib�rations, inventaires et �critures.
La lutte des avocats, au d�but du XVIII�me si�cle, contre la bulle Unigenistus avec la consultation sur ce point des quarante avocats qui, d�bordant de la question religieuse, remirent en cause l’Etat monarchique et au cours duquel l’Ordre de Paris put s’affirmer comme une force politique nouvelle et audacieuse.
Au si�cle des lumi�res, le mouvement initi� par LINGUET, inventeur avant la lettre de la « d�fense de rupture » dont les exc�s conduisent en 1771 � la r�forme de MAUPEOU, qui provoquera la gr�ve des avocats, qui conduisit elle-m�me Louis XVI � son abandon, puis � la radiation de LINGUET.
L’ind�pendance de l’Ordre fut alors formellement reconnue par LINGUET m�me, qui d�non�a dans un « appel � la post�rit� » :
« Il existe en Europe ... une soci�t� qui a le privil�ge de ne reconna�tre aucune esp�ce de loi, ni de puissance, ni d’autorit� ; qui fait des proc�s � ses membres, sans rien �crire, sans rien constater, sans rien examiner, sans rien all�guer, qui les condamne � la mort civile et les ex�cute sans qu’il y ait aucune ressource pour �luder ces arr�ts... ».
Cette excessive puissance conduisit le pouvoir politique nouveau de la R�volution � rendre sa libert� � chacun des avocats pris individuellement, et d�s lors son ind�pendance, en les renvoyant � leur statut de simple citoyen :
« Les hommes de loi, ci-devant appel�s avocats, ne devant former ni ordre, ni corporation, n’auront aucun costume particulier dans leurs fonctions. »
(d�cret du 2-11 septembre 1790 sur l’organisation judiciaire).
Cette ind�pendance par le n�ant dura les vingt ann�es de la tourmente r�volutionnaire et de l’instauration de l’Empire.
Napol�on 1er avait compris que, pour autant qu’on le contr�le un peu, le corps des avocats �tait n�cessaire � l’�quilibre social ; le d�cret du 14 d�cembre 1810 "contenant r�glement sur l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau » r�tablit le tableau des avocats, l’Ordre et les conseils de discipline et �dicte les devoirs qui seront ceux de ses membres.
Les motifs du d�cret m�ritent d’�tre rappel�s en ce qu’ils mettent au service de vertus fondamentales une perte compl�te de l’ind�pendance des barreaux et de leurs membres, au moins dans les textes :
« Nous avons en cons�quence ordonn� par la loi du 22 vent�se an XII, le r�tablissement du tableau des avocats comme un des moyens les plus propres � maintenir la probit�, la d�licatesse, le d�sint�ressement, le d�sir de la conciliation, l’amour de la v�rit� et de la justice, un z�le �clair� pour les faibles et les opprim�s, base essentielle de leur �tat.
En retra�ant aujourd’hui les r�gles de cette discipline salutaire dont les avocats se montr�rent si jaloux dans les beaux jours du barreau, il convient d’assurer en m�me temps � la magistrature la surveillance qui doit naturellement lui appartenir sur une profession qui a de si intimes rapports avec elle :
Nous aurons ainsi garanti la libert� et la noblesse de la profession d’avocat, en posant les bornes qui doivent la s�parer de la licence et de l’insubordination. »
On remarquera l’article 39 :
« Si un avocat, dans ses plaidoiries ou dans ses �crits, se permettait d’attaquer les principes de la monarchie et les constitutions de l’Empire, les lois et les autorit�s �tablies, le Tribunal saisi de l’affaire prononcera sur le champ ou sur les conclusions du Minist�re Public l’une des peines port�es par l’article 25 ci-dessus. »
Cette �tape fondamentale devait �tre le point de d�part d’une �volution ininterrompue conduisant � la grande r�forme de 1990 dont on peut imaginer qu’il ne s’agira pas du dernier des bouleversements et des soubresauts de l’histoire collective des avocats.
Tout au long de cette p�riode, les ordres ont conserv� le pouvoir supr�me : la ma�trise du tableau.
Ce pouvoir, bien qu’exerc� sous le contr�le a posteriori de la Cour d’Appel, est l’expression la plus aboutie de l’ind�pendance collective de l’avocat dont les repr�sentants sont libres d’admettre ou refuser, dans les limites de la loi, ceux qui deviendront leurs semblables.
Lorsque la r�forme des conseils de discipline, qui va conduire � leur r�gionalisation, aura d�poss�d� les conseils des plus petits ordres de la pr�rogative disciplinaire, il restera � ceux-ci ce pouvoir essentiel, qui devrait subsister longtemps, tant il est vrai que l’ind�pendance collective s’exprime surtout par le pouvoir d’exclure ou d’admettre.
1.2 L’ind�pendance collective des avocats aujourd’hui : les avocats et l’Etat
Ce n’est pas seulement � raison de leurs comp�tences techniques que les organes repr�sentatifs de la profession, qui sont nombreux (Conseil National des Barreaux, Ordres, syndicats et associations divers, organismes techniques), ont mis en place le suivi m�ticuleux, attentif et intransigeant de toutes les r�formes l�gislatives et r�glementaires susceptibles de concerner la profession dans son exercice ; cette vigilance s’�tend parfois � des questions qui ne concernent que tr�s indirectement les avocats ; il est ainsi de tradition que tous les textes mettant en cause les libert�s publiques soient discut�s, amend�s et modifi�s en relation avec ces organismes professionnels.
Cette interaction, qui se r�alise naturellement par l’interm�diaire de ceux des parlementaires et ministres qui exercent ou ont exerc� la profession d’avocat, a aussi lieu � l’occasion des contacts permanents que ces corps constitu�s ont avec les plus hautes autorit�s de l’Etat ; les commissions des lois du Parlement ne tranchent jamais sans avoir proc�d� � l’audition des repr�sentants de la profession.
L’observation des r�formes r�centes permet de constater, qu’� l’exception des domaines r�serv�s de la fiscalit� et de l’action sociale (s�curit� sociale, retraite, allocations familiales), aucune r�forme concernant directement les avocats ne s’est faite sans l’expression collective de leur accord (mais dans laquelle une majorit� engage parfois une minorit� opposante).
Lorsque survient une oppression d’Etat, en France mais plus souvent � l’�tranger, qui met en cause les libert�s en g�n�ral ou un avocat en particulier, les ordres, les barreaux, les syndicats, se manifestent toujours, par une pr�sence, par un message, ou par une prise de position publique ; et celle-ci, parce qu’elle vient des avocats, est toujours consid�r�e avec politesse, �gard et m�me respect, par l’autorit� mise en cause, m�me si, le plus souvent, celle-ci maintient la mesure critiqu�e.
1.3 L’avocat et le march�
Il se trouvera toujours des proph�tes de malheur pour pr�dire � l’avocat sa fin prochaine s’il ne s’adapte pas au march� et ne se met pas enti�rement au service des besoins pr�sum�s d’un client dont il doit par avance devancer les d�sirs et m�me les besoins.
Ces adaptations de comportement demandent parfois celle d’une r�gle professionnelle ancestrale et cette �volution semble alors remettre en cause les fondements m�mes de la profession.
Il existera toujours sur ce sujet une double ind�pendance : celle de l’ « avocat pionnier » qui pour rejoindre ces nouveaux march�s et satisfaire ses nouveaux besoins, refusera de se soumettre aux r�gles anciennes dont il tentera de d�montrer la v�tust� ou m�me l’ill�galit� ; et cet avocat ira parfois faire juger le bien fond� de son point de vue par les juridictions internationales ; par son ind�pendance d’esprit il sera l’un des acteurs de ce progr�s ; mais cette ind�pendance vaut bien celle des « vaches sacr�es » qui, hostiles � toute �volution, se font les chantres de l’exercice individuel et maintiennent leurs pratiques d�mod�es contre vents et mar�es.
1.4 Les incompatibilit�s
La d�termination des professions incompatibles avec la fonction d’avocat, qui proc�de d’un m�canisme d’exclusion identique � celui qui est � l’origine de la cr�ation des ordres et du tableau, est un ph�nom�ne tr�s significatif.
Leur champ n’a cess� de s’�tendre, au moins dans son expression textuelle, prenant la suite d’un contr�le social autrefois bien plus efficace.
Initialement destin�, sous l’ancien r�gime, � assurer l’homog�n�it� du recrutement social du corps des avocats, dont les repr�sentants des classes populaires devaient �tre soigneusement exclus, le r�gime des incompatibilit�s tel qu’il r�sulte de l’article 111 du d�cret du 27 novembre 1991 et des textes qui l’ont pr�c�d�, est doublement influenc� par l’ancienne interdiction f�odale et nobiliaire qui voyait en tout commerce le danger de « d�roger ». Il est aussi m� par le souci d’�loigner l’avocat de l’influence de l’Etat et des collectivit�s publiques dont il lui est seulement permis d’�tre le ma�tre comme membre des parlements et assembl�es diverses mais qu’il ne peut servir comme employ� (exemple l’incompatibilit� avec les fonctions minist�rielles).
La pression est forte et les ordres sont fr�quemment saisis de demandes d’interpr�tation ou, de d�rogation � la loi, qu’ils n’accordent qu’� regret ou, plus g�n�ralement, refusent de fa�on motiv�e.
L’examen de la pratique ordinale en ce domaine montre qu’un grand respect reste port� aux lois anciennes, � l’interdiction de d�roger, � l’obligation de dignit� et d�s lors, � l’exigence d’ind�pendance ; ces motifs sont parfois invoqu�s comme pr�textes, l’ind�pendance n’�tant l� que pour habiller la peur du changement.
2. L’ind�pendance individuelle
Trois menaces p�sent sur l’avocat : les autorit�s publiques et ordinales, le client, et les structures d’exercice.
2.1 Les autorit�s publiques et ordinales
L’avocat n’aime pas ob�ir ; c’est souvent pour ce motif qu’il a choisi d’exercer sa profession et c’est dans ce domaine qu’il est souvent le plus comp�tent.
La tendance naturelle de l’avocat � remettre en cause, les lois, d�crets et r�glements des autorit�s publiques est l�gendaire.
Faire juger l’ill�galit� d’une contravention au stationnement fait partie des joies enfantines de l’avocat et fait souvent de lui une gloire �ph�m�re du Palais ; il a le sentiment de remplir compl�tement sa fonction, de contribuer � l’ordre social en poussant la soci�t� qui le reconna�t vers l’Etat de droit et en prot�geant les citoyens de l’arbitraire des autorit�s.
L’avocat est la hantise des policiers et gendarmes qui persistent, contrairement � la pratique des pays europ�ens voisins, � l’�carter compl�tement de l’enqu�te pr�liminaire ; il est la victime pr�f�r�e des juges et procureurs qui perquisitionnent p�riodiquement son cabinet, mais donnent parfois du prestige � celui qu’ils croient en fait brimer.
Les ordres, et leurs conseils de discipline, sont dans une position ambigu� et de plus en plus �quivoque.
Initialement, et utilement, con�us comme des autorit�s administratives (ils sont les ma�tres du tableau) et disciplinaires (ils sont les ma�tres de l’exclusion), les conseils des ordres sont g�n�ralement compos�s d’avocats amoureux de la d�fense, qui peinent � « surveiller et punir » ; leurs arr�t�s, qui laissent souvent transpara�tre leurs combats int�rieurs, succombent souvent devant la Cour d’Appel pour n’avoir pas su clairement prendre parti pour la loi.
2.2 L’avocat et le client
2.2.1 Historique : la pratique du d�sint�ressement
Le m�canisme d’exclusion sociale mis en place sous l’ancien r�gime avait une finalit� apparente : maintenir l’homog�n�it� sociale du groupe, et un effet secret : faire en sorte que l’avocat ne d�pende pas de son activit� pour survivre �conomiquement.
Ce but fut longtemps atteint, m�me si ses moyens disparurent peu � peu, l’impossibilit� d’acc�der � la profession pour les plus modestes resta maintenue par le co�t des �tudes sup�rieures.
La pratique du d�sint�ressement, qui fut initialement la justification sociale du statut d�rogatoire de l’avocat fut elle aussi maintenue, et, de pratique, devint loi ; de nombreux textes, aujourd’hui disparus, en rappellent la n�cessit�. Hier encore, les « consultations gratuites » l’�taient non seulement pour le client, mais aussi pour l’avocat qui les fournissait.
Les derniers mouvements sociaux de la profession, dont l’objet �tait pr�cis�ment la r�mun�ration des avocats pour leurs prestations dans le cadre de l’aide juridictionnelle, montrent que cet esprit a v�cu : la fiscalit�, les charges sociales ont tu� le d�sint�ressement de l’avocat, qui doit aujourd’hui alimenter sans cesse, par les honoraires qu’il per�oit, le feu br�lant de ses charges.
Le maintien du « d�sint�ressement » comme Principe Essentiel de l’exercice professionnel de l’avocat a quelque chose de surann� ; en tout cas cette obligation de principe est manifestement contradictoire � l’obligation faite � l’avocat d’�tre � jour de ses charges et de veiller � ce que son exercice soit toujours b�n�ficiaire.
2.2.2 Les honoraires
Ceux-ci ne pouvaient autrefois, en tout cas jusqu’en 1957, qu’�tre l’expression spontan�e de la reconnaissance du client.
Jusqu’� cette m�me p�riode, l’interdiction du mandat, qu’il soit juridique ou judiciaire, abandonna � d’autres professions la facult� d’�tablir avec le client des rapports d’argent clairs et sains, et d�pourvus d’ambigu�t�.
Les n�cessit�s financi�res, combin�es � la fusion de deux professions, mais aussi � la rencontre de deux univers mentaux diff�rents, sp�cialement sur ce sujet, firent que l’avocat, qui avait d�j� recouvr� le droit d’agir en justice pour le paiement de ses honoraires, devint peu � peu, dans le domaine de la facturation, un professionnel comme les autres.
Etait-ce pourtant perdre son ind�pendance ? S�rement pas. La tradition est rest�e, d�s lors qu’il agit dans l’int�r�t de son client, et m�me si celui-ci l’ignore, l’avocat est seul juge des moyens qu’il emploie, d�s lors qu’il s’est mis d’accord avec lui sur les finalit�s g�n�rales de son action.
Mais dans ce monde idyllique il y a des exceptions.
L’aide juridictionnelle en premier lieu, qui renvoie au bureau d’admission la d�cision d’accepter ou de refuser le proc�s et d’en choisir les moyens, prive l’avocat d’une partie de ses attributions et fausse l’�quilibre que les si�cles ont lentement tiss� entre l’avocat et son client.
Un d�s�quilibre �conomique entre l’avocat et son client est parfois � l’origine d’une perte de l’ind�pendance du premier.
Les compagnies d’assurance ont constitu� dans chaque barreau des �quipes de stakhanovistes judiciaires qui fournissent avec m�rite une prestation tarif�e, et dans laquelle l’assureur, notamment lorsqu’il s’agit de protection juridique, tient une place excessive.
Les services juridiques des entreprises, o� s’affairent souvent d’anciens avocats, disposent de l’exp�rience et de la comp�tence n�cessaires � d�jouer le myst�re dont l’avocat s’entoure pour assurer son ind�pendance.
Le d�veloppement du march� est chaotique, l’offre et la demande s’inversent brusquement et l’avocat n’est plus toujours le notable de la III�me R�publique que ses parents r�vaient de le voir devenir, mais un enfant sage et soumis.
La lib�ralisation de la publicit� qu’a initi�e le d�cret de 1991 et dont la mise en �uvre � Paris notamment a �t� rendue c�l�bre par un arr�t� relatif au Cabinet THIEFFRY qui fut autoris� � faire de la publicit� pour son Cabinet en premi�re page du Monde et des Echos, n’est pas non plus de nature � pr�server l’ind�pendance de l’avocat.
Faire de la publicit�, c’est s’offrir, c’est promettre des prestations, des moyens, des comp�tences, une disponibilit�, que la personne qui accepte cette offre est ensuite en droit d’exiger de fa�on imp�rieuse.
C’est aussi, le plus souvent, devenir l’une de ces entreprises pour qui « le client est roi » ; et cette monarchie est d’une autre trempe et d’une autre exigence que celles auxquelles l’avocat, depuis des si�cles a su r�sister sans faiblir.
Nombreux sont les avocats qui r�sistent � l’innovation sans avoir v�ritablement conscience, sauf la crainte de l’inconnu, des raisons pour lesquelles ils s’opposent au progr�s.
Sans doute ressentent-t-ils confus�ment, alors que se construit, sous l’�gide de l’Organisation Mondiale du Commerce, un monde fonctionnant suivant la r�gle du « client le plus favoris� » dans lequel le plus soumis remporte la victoire, que cette �volution ne leur est individuellement pas favorable, m�me si elle renforce consid�rablement le pouvoir des collectivit�s d’avocats.
2.3 L’ind�pendance face aux structures d’exercice
Le temps o� l’avocat �tait tenu d’exercer son art � son domicile n’est pas si lointain.
Ce mode d’exercice, m�me s’il est encore celui de tr�s nombreux avocats, perd fortement en cr�dibilit� ; les clients d’aujourd’hui pensent que les services professionnels doivent �tre fournis dans des lieux professionnels ; ils per�oivent fr�quemment l’exercice individuel � domicile comme une distraction dont ils sont les objets et non comme une chose s�rieuse.
Par ailleurs, l’exercice professionnel en groupe, qu’il s’agisse d’un partage de moyens, ou d’une v�ritable mise en commun de client�le, rend n�cessaire que soient respect�es les r�gles du groupe. Celles-ci sont parfois contraignantes, et portent souvent atteinte � l’ind�pendance de l’avocat.
Le choix des clients et des dossiers, le mode de facturation, et parfois m�me le secret professionnel doivent �tre faits en commun dans des conditions qui emp�chent l’avocat responsable du dossier de donner toute la mesure de son caract�re.
Les frais engag�s par l’exercice en groupe, m�me si la mise en commun de certains d’entre eux permet des �conomies d’�chelle, sont souvent plus que l’addition des frais individuels expos�s par l’avocat solitaire.
La pression est alors forte, m�me si elle est l�gitime, et place les avocats sous la d�pendance les uns des autres. Le souci de « faire son chiffre » est � l’avocat une lourde sentinelle.
L’exercice en collaboration, formule h�rit�e d’une �poque o� ce type de travail en commun n’�tait qu’un mode d’apprentissage, a cr�� une cat�gorie d’avocats particuli�re qui a � l’�gard du client une posture secondaire et s’efforce, prot�g� tant bien que mal par des textes d�claratifs et explicites, de conserver l’ind�pendance qui fonde sa dignit�.
Lors du vote de la loi de 1990, qui a institu� la collaboration salari�e, les d�bats qui ont agit� la profession � ce propos ont �t� d’une rare violence.
L’occasion de modifier les textes sur ce point venait de l’int�gration d’une profession (les conseils juridiques) qui s’�tait exerc�e dans le cadre du salariat, ne pouvant r�former ses structures sur ce point.
Si cette formule ne s’est pas plus r�pandue, ce n’est pas parce que les grands cabinets qui emploient de tr�s nombreux collaborateurs lib�raux ont voulu pr�server l’ind�pendance de ces derniers, mais pour des raisons de co�t ; cet artifice permet en effet l’�conomie de fortes charges sociales ou tout au moins leur transfert sur les « subordonn�s ».
D’assez nombreux contentieux sont aujourd’hui soumis aux Conseils de l’Ordre et aux Cours d’Appel tendant � la requalification de contrats de collaboration en contrats de travail dont certains aboutissent, parce que l’�vidence impose que le collaborateur n’a pas les moyens, notamment le temps, d’exercer sa profession ind�pendamment.
Pourtant, malgr� ces nombreuses r�gressions, l’acceptation culturelle de la d�pendance des avocats les uns par rapport aux autres a donn� force et puissance � leurs structures qui, m�me si elles sont parfois dirig�es de l’�tranger par d’autres avocats, constituent de puissants groupes de pression, profond�ment enracin�s dans l’ancienne vertu d’ind�pendance.
Cette « collectivisation » est l’efficace contrepoids d’une �volution sociale inexorable qui tend � faire de l’individu, et non du groupe, la finalit� de l’organisation sociale.
* * *
En cet �tat l’avocat du XXI�me si�cle reste la vigie des libert�s ; gageons qu’il saura continuer de jouer son r�le essentiel : prot�ger l’homme individuel de l’oppression lib�rale et mondialiste.