Depuis, presque deux si�cles ont pass�, avec leur cort�ge de r�formes, pour aboutir � la loi du 4 mars 2002, qui a r�affirm� l’exigence du maintien des liens avec le parent priv� de l’autorit� parentale, et �nonc� de mani�re g�n�rale, � l’article 373-2, alin�a 2, du Code civil que " chacun des p�re et m�re doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ".
La coparentalit� a cependant progress�. Elle s’est affirm�e avec la cons�cration du principe de l’exercice en commun de l’autorit� parentale, par la loi du 8 janvier 1993. Pourtant, il est apparu au l�gislateur qu’elle ne pouvait pleinement s’�panouir dans le partage de la seule autorit� parentale, et qu’elle ne serait pas pleinement effective tant que la r�sidence habituelle de l’enfant demeurerait fix�e chez un seul parent.
C’est la raison pour laquelle la loi du 4 mars 2002 a parachev� l’�difice de la coparentalit�, en autorisant le juge aux affaires familiales � fixer la r�sidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun de ses parents.
L’innovation a �t� accueillie avec soulagement par les couples qui avaient adopt�, en marge de la loi, la r�sidence altern�e. La n�cessit� de donner une onction l�gislative � ces pratiques consensuelles n’a pas fait grand d�bat. Les oppositions se sont focalis�es sur le point de savoir s’il �tait opportun de conf�rer au juge le pouvoir d’imposer un h�bergement altern� � des parents incapables de s’entendre. Le l�gislateur a finalement opt� pour une solution de compromis consistant � imposer aux parents r�fractaires une r�sidence altern�e " � l’essai ".
C’est ainsi qu’au nom de la coparentalit�, la prohibition sans nuance de la r�sidence altern�e qui pr�valait avant l’entr�e en vigueur de la loi du 4 mars 2002 relative � l’autorit� parentale (I) a laiss� place � une cons�cration sans limite (II).
I - LA PROHIBITION SANS NUANCE DE LA RESIDENCE ALTERNEE AVANT LA LOI DU 4 MARS 2002
Jusqu’� l’entr�e en vigueur de la loi du 4 mars 2002, le Code civil prohibait la r�sidence altern�e (A). Les juges et les avocats ont donc d� composer avec cette interdiction de principe, pour organiser l’h�bergement altern� lorsqu’il �tait souhait� par les parents et conforme � l’int�r�t de l’enfant (B)
A/ La prohibition de principe de la r�sidence altern�e
La prohibition de la r�sidence altern�e a r�sist�, depuis les lois du 4 juin 1970 et du 11 juillet 1975 (1) � toutes les r�formes de l’autorit� parentale (2).
1/ L’attribution de la garde avant la loi du 22 juillet 1987 relative � l’exercice de l’autorit� parentale
Sous l’empire des lois du 4 juin 1970 sur l’autorit� parentale et du 11 juillet 1975 portant r�forme du divorce, l’exercice conjoint de l’autorit� parentale �tait r�serv� � la famille l�gitime.
En cas de d�sunion, le pouvoir sur l’enfant reposait sur la cohabitation. La garde devait ainsi �tre confi�e, selon l’article 287 du Code civil, " � l’un ou l’autre des �poux ", ce qui faisait obstacle � toute mesure de garde altern�e, par laquelle chacun des parents aurait d�tenu � son tour, selon un calendrier fix� � l’avance, la garde de l’enfant et exerc� en cons�quence l’autorit� parentale.
C’est la raison pour laquelle la deuxi�me Chambre civile de la Cour de cassation avait condamn� la garde altern�e [1] tout en admettant la garde conjointe [2].
Cette position a �t� ent�rin�e par la loi du 22 juillet 1987 relative � l’exercice de l’autorit� parentale.
2/ Les lois du 22 juillet 1987 et du 8 janvier 1993 relatives � l’exercice de l’autorit� parentale
Prenant acte de ce qu’un parent pouvait exercer l’autorit� parentale sans n�cessairement cohabiter avec l’enfant, le l�gislateur a substitu� � la notion de garde celle d’exercice de l’autorit� parentale.
La loi de 1987 a ainsi �nonc� qu’en cas de divorce, l’autorit� parentale �tait exerc�e soit en commun par les deux parents, soit par l’un d’eux. En revanche, dans la famille naturelle, l’exercice en commun restait subordonn� � une d�cision judiciaire ou � une d�claration conjointe des parents.
Pour autant, la nouvelle loi n’entendait pas autoriser la r�sidence altern�e. Bien au contraire, les travaux parlementaires t�moignent du souci des promoteurs du projet d’interdire une organisation familiale qu’ils estimaient contraire � l’int�r�t de l’enfant.
C’est pourquoi les articles 287 et 374 du Code civil, dans leur r�daction issue de la loi de 1987, imposaient au juge, en cas d’exercice conjoint de l’autorit� parentale, d’indiquer chez lequel de ses parents l’enfant avait sa r�sidence habituelle.
La loi du 8 janvier 1993 a globalement maintenu cette exigence, en n’ouvrant qu’une br�che �troite dans le cas du divorce. En effet, selon le nouvel article 287 du Code civil, le juge n’�tait tenu de fixer la r�sidence habituelle de l’enfant chez l’un de ses parents qu’� d�faut d’accord parental.
Toutefois, la n�cessit� de choisir une r�sidence habituelle subsistait, � d�faut d’accord des parents divorc�s [3], ainsi que dans la famille naturelle �clat�e [4].
B/ Les petits arrangements avec la loi
Apr�s avoir longtemps marqu� leur d�faveur pour une organisation qu’ils tenaient pour contraire non seulement � la loi, mais �galement � l’int�r�t de l’enfant, les juges ont fini par prendre acte de l’�volution des esprits.
En cas de divorce, ils ont ainsi homologu� les conventions parentales mettant en place une r�sidence altern�e, comme la lettre de l’article 287 du Code civil paraissait l’autoriser (1). En dehors de cette hypoth�se, ils ont d� faire preuve d’imagination (2).
1/ Les conventions parentales homologu�es
L’article 287 du Code civil, dans sa r�daction issue de la loi du 8 janvier 1993, n’imposait le choix d’une r�sidence habituelle qu’� d�faut d’accord entre les parents ou lorsque cet accord �tait contraire � l’int�r�t de l’enfant.
D�s lors, les juges ont accept� d’homologuer les accords parentaux organisant une r�sidence altern�e.
2/ Le contournement de l’interdiction
La solution la plus �vidente a consist� � fixer la r�sidence habituelle de l’enfant chez l’un de ses parents et � am�nager au profit de l’autre parent un large droit de visite et d’h�bergement, �quivalant en pratique � une r�sidence altern�e [5].
De mani�re plus audacieuse, certains juges du fond ont distingu� entre r�sidence et h�bergement, affirmant que si le juge aux affaires familiales devait d�cider d’une r�sidence habituelle, rien ne lui interdisait d’imposer un h�bergement partag� [6].
Ces exp�dients n’ont plus cours depuis que la loi du 4 mars 2002 a consacr� la r�sidence altern�e, dans la famille l�gitime comme dans la famille naturelle.
II - LA CONSECRATION SANS NUANCE DE LA GARDE ALTERNEE PAR LA LOI DU 4 MARS 2002
Si on ne peut qu’approuver la possibilit� d�sormais laiss�e aux parents s�par�s d’am�nager librement les modalit�s d’h�bergement de leurs enfants, il est en revanche permis de douter qu’il soit jamais conforme � l’int�r�t d’un enfant que le juge impose une r�sidence altern�e � des couples en plein affrontement parental (B).
A/ Les pouvoirs du juge en l’absence de conflit
La loi du 4 mars 2002 permet d�sormais aux parents d’organiser la r�sidence altern�e de leurs enfants avec une relative libert� (1). Seules quelques difficult�s r�siduelles demeurent (2).
1/ La faveur aux conventions parentales
M�me en dehors du divorce sur demande conjointe, la loi a toujours marqu� sa faveur aux pactes parentaux relatifs � l’am�nagement de l’exercice de l’autorit� parentale. Les articles 290 et 376-1 du Code civil invitaient le juge, d�s avant la loi du 4 mars 2002, � tenir compte des accords pass�s entre le p�re et la m�re.
D�sormais, les parents peuvent faire homologuer l’accord par lequel ils organisent les modalit�s d’h�bergement de l’enfant, le juge aux affaires devant simplement s’assurer que la convention pr�serve suffisamment son int�r�t.
En particulier, l’article 373-2-9 du Code civil les autorise explicitement � opter pour une r�sidence altern�e.
Ce faisant, le l�gislateur a suivi les pr�conisations du rapport Dekeuwer-D�fossez [7], qui sugg�rait de " donner plus de souplesse aux am�nagements de l’exercice en commun de l’autorit� parentale en supprimant l’exigence d’une r�sidence habituelle ", afin d’�viter que les juges soient conduits � refuser " de pr�voir un partage de l’h�bergement, qui ne serait pourtant nullement contraire in concreto � l’int�r�t de l’enfant, sous pr�texte que les textes exigent une "r�sidence habituelle" ".
Une telle organisation fonctionne, d�s lors que les parents s’entendent, que leurs domiciles sont voisins et qu’ils disposent des moyens financiers n�cessaires pour faire face � cette "double vie". Les difficult�s r�siduelles sont alors mineures.
2/ Les difficult�s r�siduelles
L’article 194 du Code g�n�ral des imp�ts, dans sa r�daction issue de la loi de finances rectificative pour 2002, a r�gl� la question du calcul du quotient familial en cas de r�sidence altern�e.
Par ailleurs, l’article 161-15-3 du Code de la s�curit� sociale conf�re � l’enfant la qualit� d’ayant droit de chacun de ses parents pour les prestations d’assurance maladie.
En revanche, la question du domicile de l’enfant demeure en suspens. L’article 108-2 du Code civil dispose, en son second alin�a, que " si les p�re et m�re ont des domiciles distincts, il est domicili� chez celui des parents avec lequel il r�side ". Comment le principe d’unit� du domicile va-t-il s’accommoder de la r�sidence altern�e ?
De m�me, la r�sidence altern�e risque de soulever des difficult�s sp�cifiques au regard de la responsabilit� des parents du fait de leurs enfants mineurs. Il conviendra en effet de d�terminer si un parent pourra �tre tenu responsable des dommages caus�s par l’enfant lorsqu’il �tait h�berg� par l’autre parent.
Toutefois, les v�ritables difficult�s surgissent en cas de conflit parental.
B - Les pouvoirs du juge en cas de conflit
Le juge aux affaires familiales a d�sormais le pouvoir d’imposer aux parents une r�sidence altern�e. Si la "p�riode d’essai" est certainement une cote mal taill�e (1), la facult� laiss�e au juge d’imposer aux parents la r�sidence altern�e para�t, dans son principe m�me, contraire � l’int�r�t de l’enfant, dont elle se revendique pourtant (2).
1/ Un texte mal pens�
Le juge, saisi par l’un des parents ou par le minist�re public � l’effet de statuer sur les modalit�s d’exercice de l’autorit� parentale peut fixer la r�sidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents.
L’article 373-2-9 du Code civil ajoute qu’" � la demande de l’un des parents ou en cas de d�saccord entre eux sur le mode de r�sidence de l’enfant, le juge peut ordonner � titre provisoire une r�sidence en alternance dont il d�termine la dur�e. Au terme de celle-ci, le juge statue d�finitivement sur la r�sidence de l’enfant, en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux ".
Cette "p�riode d’essai" n’a qu’une valeur symbolique. En effet, les mesures relatives � l’exercice de l’autorit� parentale sont par essence provisoires. D�s lors, permettre au juge d’ordonner une r�sidence en alternance � titre provisoire est une redondance, de m�me que lui imposer ensuite de statuer " d�finitivement " sur la r�sidence de l’enfant est un contresens.
En outre, le texte ne fixe pas de dur�e maximum pour cette "p�riode d’essai", alors m�me qu’il avait �t� envisag�, au cours des travaux pr�paratoires, de la limiter � six mois.
Mais les v�ritables critiques auxquelles le texte s’expose sont plus fondamentales.
2/ Un texte mal inspir�
En r�alit�, la coparentalit�, telle qu’elle est entendue par la loi du 4 mars 2002, postule qu’il serait toujours de l’int�r�t de l’enfant d’�tre �lev� par ses deux parents. Il serait d�s lors urgent de r�tablir l’�galit� parentale.
Pourtant, force est de constater que l’int�r�t de l’enfant ne passe pas n�cessairement par la r�sidence altern�e.
La r�sidence altern�e n’est envisageable que dans les couples qui parviennent � faire le d�part entre leur r�le de parents et leur conflit conjugal. A d�faut, elle risque de faire de l’enfant l’otage de l’affrontement des parents, aliment� par les difficult�s de l’organisation quotidienne qui ne manqueront pas de surgir. A nier le conflit, on ne risque que de l’attiser...
Au demeurant, la loi du 4 mars 2002 commet une erreur de perspective en cherchant � r�tablir "l’�galit�" entre le p�re et la m�re, quand il ne s’agit que de servir au mieux l’int�r�t de l’enfant. Elle m�conna�t les diff�rences biologiques et symboliques qui s�parent les r�les respectifs du p�re, qui guide l’enfant vers l’ext�rieur et le social, et celui de la m�re, qui rassure et donne la confiance.
La mesure de ces difficult�s et de ces diff�rences doit �tre envisag�e de fa�on particuli�re, s’agissant d’enfants en bas �ge et de nourrissons qui ne sont pas encore autonomes et dont l’�quilibre psychologique futur d�pend de l’�nergie qu’on aura mis � les prot�ger et � les rassurer plus qu’� les conqu�rir.
Ainsi qu’il a �t� observ�, " la coparentalit� est une sorte de fiction juridique : le couple parental est compos� de deux �tres diff�rents qui ne peuvent avoir le m�me lien, la m�me repr�sentation - et sauf exception le m�me sexe - et comme l’enfant a �t� port� et accouch� par l’un mais pas par l’autre cette dissym�trie a un sens qui transcende la r�alit� quotidienne et qui exclut que chacun �l�ve l’enfant comme un �ducateur abstrait et neutre. Ainsi, il faut vouloir la coparentalit� non pour l’�quit� mais pour que l’enfant ait acc�s � la diff�rence des genres, des sexes, des r�les, des repr�sentations - rien � voir avec la machine � d�compter le temps pass� " (J.-L. Viaux, Professeur en psychopathologie, expert agr�� par la Cour de cassation, in Fonction et fiction du juridique : l’autorit� parentale apr�s la loi du 4 mars 2002, AJ Famille, septembre 2003, p. 293). On ne saurait mieux dire...
La Convention de New York relative aux les droits de l’enfant nous rappelle que ce dernier est sujet de droit. Il ne doit pas, au nom d’une pr�tendue " parit� parentale ", devenir objet d’un droit � l’enfant qui - faut-il le rappeler - n’existe pas.
Enfin et surtout ne m�connaissons pas l’importance de ces r�formes, qu’elles soient pr�toriennes ou l�gislatives, qui passent souvent pour mineures aux yeux de certains juristes et gardons � l’esprit que le droit de la famille constitue une des structures fondamentales de notre vie en soci�t�.