Apr�s d�bats, oppositions et propositions (1), la Loi n° 2003-517 relative � la r�mun�ration au titre du pr�t en biblioth�que et renfor�ant la protection sociale des auteurs (2) a enfin vu le jour le 18 juin 2003. Son intitul� est r�v�lateur non seulement de son objet, mais aussi du droit ant�rieur.
L’objet tout d’abord.
A la pointe de l’actualit�, la loi instaure, pour une cat�gorie d’auteurs, des r�gles relatives aux r�gimes compl�mentaires de retraite. Surtout, elle pose et organise le principe de r�mun�ration des auteurs au titre du "droit de pr�ter" reconnu aux biblioth�ques. Sous-entendu d�s lors : le droit de pr�t pr�existait � la loi du 18 juin 2003.
Le droit ant�rieur donc.
Il serait vain de revenir en d�tail sur ce point, dor�navant historique. A titre de rappel, tout de m�me, l’inutilit� de la transposition de la directive communautaire du 19 novembre 1992 relative au droit de location et de pr�t (3) n’a de cesse �t� agit�e par les gouvernements fran�ais successifs sur le fondement d’un droit de pr�t implicitement reconnu, d�j�, dans le Code de la Propri�t� intellectuelle (4). Le droit de pr�t appartiendrait en effet � cette esp�ce singuli�re du droit de destination, c’est-�-dire � celle des "droits retenus" par l’auteur avec cette particularit� n�anmoins, pour le droit de pr�t, de son effectivit� d�ficiente voire nulle.
Il convient d�s lors de noter le net contraste entre la vigueur de cette constante revendication de nos gouvernants et l’absence de consistance, en pratique, de ce droit de pr�t, la clause relative � la cession de ce droit par l’auteur � l’�diteur dans le contrat type de l’�dition �tant vou� aux g�monies dans les faits.
Tenu aux exigences communautaires d’effectivit� du droit de pr�t et spectateur d’une cacophonie au sein du monde du livre, le l�gislateur devait agir et bousculer, tant bien que mal, les barricades �lev�es par les diff�rents acteurs de ce monde camp�s sur des revendications plus ou moins antagonistes.
Soutenus par la r�affirmation du service public des biblioth�ques et le respect du droit d’auteur, les six premiers articles de la loi modifient successivement le Code la Propri�t� Intellectuelle (5), le Code de la S�curit� sociale et la Loi n° 81-766 du 10 ao�t 1981 relative au prix du livre. Les trois derniers articles de la loi n’occuperont pas l’attention de l’explication sch�matique de la loi dans la mesure o� ils constituent, en dehors de toute consid�ration de fond, de critiquables cavaliers (6). Il en sera de m�me, par exigence de synth�se cette fois, des modalit�s d’application de la loi dans le temps et dans l’espace.
LE PRINCIPE DE LA R�MUN�RATION
L’article premier de la loi cr�e, au sein du titre III du CPI relatif � "l’exploitation des droits", un chapitre III intitul� "R�mun�ration au titre du pr�t en biblioth�que".
En vertu du premier article de ce nouveau chapitre (7), le dispositif ainsi introduit suppose une �uvre objet du contrat d’�dition r�gi par le Code de la Propri�t� Intellectuelle (article L. 132-1). De ce fait, sont notamment exclus du domaine de la loi les phonogrammes et vid�ogrammes ainsi que les �uvres de presse.
Il est en outre pr�cis� que la publication et la diffusion de cette �uvre
sont faites sous la forme du livre appr�hend� ici dans son unique support papier. Cette conception de l’�dition d�coule, d’une part, de celle, restrictive et historique, des r�dacteurs du Code de la Propri�t� intellectuelle, et d’autre part, de la volont� politique de l�gif�rer enfin sur la question du pr�t en traitant distinctement le pr�t des diff�rents supports accessibles en biblioth�ques.
D�s lors, et du seul fait de l’�dition de l’oeuvre, la loi impose une concession � laquelle les parties au contrat d’�dition ne peuvent d�roger.
Certes la r�f�rence au seul auteur, toujours au premier article, soutend qu’il est bien l’unique titulaire du droit de pr�t, � l’exclusion donc de l’�diteur. N�anmoins, l’auteur ne peut ni c�der son droit, ni autoriser ou interdire le pr�t d’exemplaires du support de son �uvre lorsque ce pr�t est g�r� par une biblioth�que, priv�e ou publique, recevant du public (8).
En contrepartie de cette concession obligatoire, une r�mun�ration au titre du pr�t est instaur�e et consacr�e. C’est ainsi qu’appara�t la licence l�gale.
Autrement-dit et en cons�quence, le l�gislateur fran�ais a opt�, non pour la reconnaissance du droit exclusif de l’auteur d’interdire ou d’autoriser le pr�t tel que l’article 2 de la directive communautaire du 19 novembre 1992 le pose en tant que principe, mais pour la licence l�gale, comme cette m�me directive le pr�voit, � titre d�rogatoire, en son article 5.
PERCEPTION ET R�PARTITION
La gestion de la r�mun�ration pr�vue au premier article est organis�e � l’article suivant (article L. 133-2 du CPI).
Seules les soci�t�s de perception et de r�partition des droits vis�es aux articles L. 321-1 et suivants du CPI sont autoris�es � percevoir la r�mun�ration au titre du pr�t en biblioth�que. L’article L. 133-2 du CPI impose de strictes conditions d’agr�ment.
SOURCES DE LA R�MUN�RATION
A l’article suivant (article L. 133-3 du CPI), le l�gislateur s’est attaqu�, et le mot n’est pas excessif, � la question controvers�e de la source de la r�mun�ration. Au contraire de la solution d�velopp�e dans le rapport de M. BORZEIX, le l�gislateur a opt� pour le pr�t dit pay�.
Ainsi est �cart� le pr�t payant propos� dans ce rapport, lequel �tait fond� sur la participation directe de l’usager moyennant un paiement forfaitaire annuel.
A juste titre d’un point de vue technique, d’aucuns ont pu souligner que le pr�t payant aurait pu fonctionner car existe d�j� � l’�tat embryonnaire dans nombre de biblioth�ques qui exigent actuellement des frais d’inscription. A condition de maintenir le montant de ces frais � un seuil raisonnable - un modique pr�t payant forfaitaire-, certains ont estim� que le pr�t payant, outre sa conformit� � la logique du droit d’auteur et son fonctionnement moins on�reux, n’aurait pas dissuad� les lecteurs de recourir � l’emprunt de livres.
Cependant, le l�gislateur a sans doute craint une lev�e de boucliers chez certains lecteurs farouchement attach�s � une forme - aujourd’hui tronqu�e- de gratuit� du service public en cause et vigoureusement hostiles � toute forme de pr�l�vements en apparence constitutifs d’une taxe de l’Etat.
En toute hypoth�se, le l�gislateur s’est d�tourn� du portefeuille des m�nages fran�ais et a cr�� deux sources, externes, � la r�mun�ration au titre du pr�t en biblioth�que.
La premi�re part destin�e � alimenter la tirelire constitu�e en vue de la r�mun�ration est � la charge de l’Etat. Elle consiste dans une contribution annuelle forfaitaire par usager inscrit dans les biblioth�ques accueillant du public (9), � l’exception des biblioth�ques scolaires. Cette participation �tatique est d�termin�e � partir d’estimations statistiques ou forfaitaires, selon les cas.
La seconde part consiste dans le pr�l�vement de 6 % (3 % la premi�re ann�e) sur le prix public de vente hors taxe des livres achet�s chaque ann�e, pour les biblioth�ques accueillant du public pour le pr�t, par les personnes morales les g�rant (10). La responsabilit� de son versement incombe aux fournisseurs dont certains voient leur politique de prix a priori encadr�e plus strictement par la loi.
En effet, en vertu de l’article 3 de la Loi du 10 ao�t 1981 tel que modifi� par l’article 4 de la loi du 18 juin 2003, les rabais qu’ils sont autoris�s � faire pour certaines biblioth�ques sont dor�navant plafonn�s, successivement � 12 % pour la premi�re ann�e, puis � 9 % la seconde (11).
Cependant, d’aucuns craignent que cette mesure n’assainisse pas la concurrence dans ce secteur du livre. En pratique, seuls les grossistes et les librairies prosp�res �conomiquement continueront � attirer, pour l’achat des livres, les personnes vis�es � l’article 3 de la loi sur le prix du livre (12)
R�PARTITION DE LA R�MUN�RATION
Outre le versant p�nal pr�vu � l’article L. 335-4 du CPI, le dernier article introduit par la loi dans le code de la Propri�t� intellectuelle (article L. 133-4 CPI) organise la r�partition de la r�mun�ration au titre du pr�t.
En vertu de cet article, une premi�re fraction, insuffl�e par un esprit de solidarit� entre les auteurs, est affect�e � la prise en charge des cotisations dues, au titre de la retraite compl�mentaire d’assurance vieillesse, par les personnes vis�es au second alin�a de l’article L. 382-12 modifi� du Code de la S�curit� sociale.
Sont concern�s les �crivains et traducteurs qui, jusqu’� ce jour, ne rentraient dans aucun des r�gimes de retraite compl�mentaire existants (13). Dor�navant, et ind�pendamment de tout achat de leurs �uvres, ces auteurs b�n�ficient, au titre du financement de leurs cotisations, de la moiti�, au plus, des sommes collect�es au titre de la loi du 18 juin 2003.
La seconde fraction, solde des sommes per�ues au titre du droit de pr�t et de celles affect�es au paiement des cotisations vis�es ci-dessus, est divis�e en deux parts �gales : l’une est distribu�e aux auteurs, l’autre aux �diteurs. Sont donc pris en compte, en faveur des �diteurs, le risque financier de l’exploitation de l’oeuvre ainsi que l’�ventuel pr�judice commercial d�coulant du droit de pr�t.
Cette seconde fraction vers�es aux auteurs et �diteurs est fonction du nombre d’exemplaires achet�s chaque ann�e, peu importe leur prix, pour leurs biblioth�ques par les personnes morales les g�rant (14).
Autrement-dit, les livres achet�s et r�pertori�s chaque ann�e permettent de remonter aux auteurs et donc de d�terminer ceux qui b�n�ficient, par le simple achat d’un exemplaire de leur oeuvre, de la r�mun�ration au titre du pr�t.
En pratique cependant, rares sont les biblioth�ques exclusivement de pr�t, la consultation �tant une activit� courante dans le service public de la lecture.
Pour autant, les auteurs -et leurs �diteurs- dont les livres sont achet�s, puis seulement consult�s, sans emprunt, b�n�ficient �galement de la part de la r�mun�ration.
Et, dans le respect d’un certain parall�lisme, les livres achet�s, qu’ils soient emprunt�s ou consult�s ensuite, participent ensemble � la d�termination de la base du calcul du pr�l�vement de 6% examin� ci-dessus (15).
Ainsi, dans une loi relative en principe � la r�mun�ration au titre du seul pr�t en biblioth�que, la consultation entre en ligne de compte tant pour la d�termination de la base du calcul du pr�l�vement de 6 % que pour celle des b�n�ficiaires de la r�mun�ration.
Pourtant, la consultation n’est pas le pr�t, constat d’ailleurs entendu � l’origine par le l�gislateur qui n’�voque pas dans la loi, conform�ment � ses engagements originaires, la consultation mais qui n�anmoins l’int�gre implicitement au m�canisme.
Certes, sur le plan d’une politique de soutien et de diffusion des oeuvres, l’appr�hension des exemplaires acquis mais non emprunt�s et donc de leurs auteurs, permet, d’une part, de r�mun�rer au titre du droit de pr�t, non seulement les auteurs de best-sellers fortement emprunt�s, mais aussi des auteurs aux oeuvres peu ou moins "commerciales" et, d’autre part, de rendre les oeuvres de ces derniers auteurs accessibles au public, ind�pendamment de tout pr�t.
N�anmoins, sur le plan �conomique, la prise en compte de tous les exemplaires achet�s risque de jouer au d�triment des auteurs -de best-sellers notamment- dont les exemplaires font effectivement l’objet du pr�t pay� organis� par la loi.
Bref entre la solidarit� des auteurs, soutenue par une v�ritable politique de promotion de la lecture, et la r�alit� �conomique, le l�gislateur a opt�, sur ce point du moins, pour la premi�re branche de l’alternative.
Et c’est � regret que M. Eckenspieller, rapporteur de la loi au S�nat, souligne, dans son rapport n° 337, la l�g�ret� de la r�daction, r�sultat d’une aspiration simplificatrice et pragmatique de l’Assembl�e Nationale selon lui.
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Au m�canisme complexe, la loi du 18 juin 2003 a le m�rite d’aborder la question du "pr�t " en biblioth�que, sans n�anmoins s’interroger sur le concept -m�me du pr�t.