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PRESSE & COMMUNICATION
La loi de 1881, et le concept de responsabilit� � l’�preuve d’Internet.
Par Geoffrey Le Taillanter
Publié le juin 2002
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Existe-t-il, sur internet, une v�ritable s�curit� juridique ? Une s�curit� incluant le droit � trouver un responsable � son pr�judice ? Gis�le Demarcq, du CNRS audiovisuel, a d�montr� que " le vide juridique " sur internet n’�tait qu’un " mythe " et qu’il existe toute une l�gislation applicable � ce m�dia que ce soit en mati�re de propri�t� intellectuelle ou de d�lit de presse.

La loi de 1881 peut, en effet, tr�s bien s’appliquer en sanctionnant tous les comportements fautifs qui ne concernaient hier que les supports traditionnels. Elle sera, certainement, capable de s’adapter � internet, comme elle y est parvenue pour la radio (1933) ou le cin�ma (1934). Cependant, si la protection juridique existe, la sensation d’irresponsabilit� sur internet demeure, n�anmoins, ressentie par beaucoup d’utilisateurs. Chacun pressent, en effet, un probl�me de pertinence du droit de la presse appliqu� � internet. En th�orie, de l’utilisateur � l’h�bergeur, il peut �tre trouv� diff�rents niveaux de responsabilit� et cette donn�e est, en effet, nouvelle dans la sph�re des m�dias : le consommateur final de l’information peut se transformer en publicateur (pour reprendre un terme du droit de la presse). Il peut aujourd’hui, intervenir pour diffuser ses opinions, ses id�es ou ses ressentiments.

Les avantages que procure cette nouvelle interactivit� sont corr�lativement source de nouvelles responsabilit�s. La loi de 1982 sur la communication audiovisuelle demeure tr�s explicite sur ce point par un raisonnement � contrario : le directeur de la publication " sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incrimin� a fait l’objet d’une fixation pr�alable � sa communication au public ". D�s lors, l’�cran que peut repr�senter le directeur s’efface totalement lorsqu’il diffuse sans avoir auparavant op�r� un filtrage. Il existe donc une responsabilit� th�orique de l’utilisateur d’internet dans les forums de discussion. Mais elle reste relativement virtuelle car comment identifier l’auteur d’une diffamation sur un forum ?

Le probl�me est r�current : l’anonymat, qui g�ne le droit dans son application, fait le succ�s de ce nouveau m�dia. Cette irresponsabilit� de fait, et non de droit, n’est cependant pas �loign�e de l’esprit de la loi de 1881, car dans les contentieux de presse c’est " moins d’avoir dit ou �crit que de faire savoir " qui est pr�judiciable (comme le prouve la sanction symbolique de la diffamation ou de l’injure non publique). Le directeur de la publication est le premier responsable car c’est l’acte de publication qui donne toute sa consistance au d�lit.

Sur internet et plus sp�cifiquement s’agissant des forums, l’administrateur doit �tre responsable car c’est lui qui prend le risque de voir des propos diffamatoires appara�tre sur son site. Cette argumentation �tait d�j� fortement pr�sente dans la d�cision de la cour de cassation du 8 d�cembre 1998 (d�cision de r�f�rence sur ce th�me : 3615 Renouveau, 8 d�cembre 1998) car si l’on cr�e comme dans le cas d’esp�ce un forum pour �changer des opinions religieuses et politiques, l’administrateur aurait d� pr�voir que des propos diffamatoires pouvaient y �tre tenus. Il a voulu cr�er un site pol�mique, qu’il l’assume, semblent dire les magistrats. Il serait, en effet, trop facile de se cacher derri�re le masque de l’internaute anonyme et diffamateur pour s’extraire de toute responsabilit�.

Cependant, le probl�me d’une telle d�marche reste que le contentieux de presse ne concerne plus les m�mes acteurs. Il y a toujours une victime du d�lit, mais les responsables, les auteurs du d�lit, sont, en partie, des publicateurs b�n�voles. Il est sans doute s�v�re de les placer au m�me niveau qu’une publication de presse ou qu’une cha�ne de t�l�vision et leur imposer, comme dans cette affaire, des dommages et int�r�ts tr�s �lev�s par rapport aux sanctions financi�res des contentieux " classiques " de la presse.

En revanche, lorsque le litige concerne des sites personnels, contenant des propos diffamatoires par leur simple volont�, les administrateurs doivent �tre consid�r�s comme responsables au m�me titre qu’un patron de presse. Car ils sont dans ce cas, non seulement auteurs, mais aussi publicateurs des propos contest�s. Le th�me de cette r�flexion n’est pas de juger du point de savoir si internet doit �tre un espace de libert� ou si certains propos sont diffamatoires ou non, mais simplement de s’interroger sur un v�ritable concept de responsabilit� sur ce m�dia. Or les administrateurs de site semblent �tre les responsables les plus naturels des pr�judices trouvant leurs sources dans leur travail.

Car dans le cas contraire, contre qui pourrait se retourner la victime ? L’h�bergeur ? l’op�rateur de t�l�communication ? Ce dernier semble �tre totalement hors de ce contentieux, car il ne fait que transporter l’information de l’h�bergeur vers la console de l’utilisateur. Le reconna�tre responsable reviendrait � condamner la NMPP pour les d�lits de presse contenus dans Lib�ration, le Monde ou le Figaro. Reste les h�bergeurs de site, dont le r�le consiste � �tre des interm�diaires entre l’utilisateur et les administrateurs de site. Leur responsabilit� est assez int�ressante car indirecte.

Pour reprendre l’exemple des forums, il est � noter que la l�gislation fran�aise reste plus mesur�e que celle d’outre-manche o� la High Court de Londres a reconnu l’h�bergeur responsable du contenu du forum de discussion transitant sur son serveur. La position fran�aise est nettement plus nuanc�e avec la loi du 1er ao�t 2000 et son amendement dit " Bloche ". Celui-ci consacre une responsabilit� des h�bergeurs pour le contenu des sites lorsqu’" ayant �t� saisi par une autorit� judiciaire, elle n’a pas agi promptement pour emp�cher l’acc�s � ce contenu ". La loi, � sa cr�ation, pr�voyait d’ailleurs, un autre cas de responsabilit� de l’h�bergeur, il devait r�agir �galement si un tiers l’avait pr�venu. Mais cette disposition fut censur�e par le Conseil Constitutionnel (le 27 juillet 2000) trouvant les termes employ�s trop flous ce qui pouvait contrevenir au principe de la l�galit� des d�lits et des peines. Il reste, n�anmoins, des zones d’ombre dans cet amendement. Comment comprendre le terme " saisi " ? L’h�bergeur est-il responsable s’il n’agit pas d�s l’envoi d’une assignation ? Ou faut-il attendre une ordonnance de r�f�r� ou un jugement au fond ? Et m�me en cas de jugement au fond (sans ex�cution provisoire) qu’en est-il de l’appel normalement suspensif ? Dans une d�cision du 20 septembre 2000, le juge des r�f�r�s (one tel/multimania), sans r�soudre compl�tement le probl�me, a d�cid� que la suspension du site ne vaudrait que si les demandeurs introduisaient une demande au fond.

Dans le cadre de la loi de 2000, l’h�bergeur n’est pas responsable du contenu du site (" nul n’est responsable que de son propre fait ") et ne sera condamn�, en fait, qu’en cas d’abstention fautive face � une injonction du juge (responsabilit� du fait personnel). Avec la loi du 1er ao�t 2000, le l�gislateur a, en effet, voulu extraire du contentieux p�nal les h�bergeurs, en les prot�geant de l’application directe de la loi de 1881. Celui-ci ne peut �tre assimil� ni au directeur de publication, ni � un complice, car il ne peut " ni s�lectionner, ni modifier les informations avant leur accessibilit� sur internet " (TI Puteaux 28 septembre 1999). Et c’est en cela que la tol�rance, � leur �gard, se justifie.

Tol�rance toute relative car ne pas �tre condamnable p�nalement ne signifie pas que l’on ne puisse aucunement rechercher sa responsabilit�. Dans l’affaire Ciriel/Free (TGI Paris 6 f�vrier 2001) le tribunal a consid�r� que l’h�bergeur ne pouvait �tre consid�r� comme fautif car, d�s qu’il a eu connaissance des propos diffamatoires, il a ferm� le site et communiqu� le nom des auteurs. Ce qui signifie que dans le cas contraire, il aurait pu �tre sanctionn� sur la base de l’article 1382 du code civil. Ce fondement civiliste repr�sente, par ailleurs, un danger immense pour les h�bergeurs comme le d�montre l’ordonnance rendue par le Tribunal de Grande Instance de Toulouse (5 juin 2002) condamnant un h�bergeur de site pour ne pas avoir retir� assez promptement des propos diffamatoires d’un forum.

La jurisprudence dans son ensemble utilise un crit�re d�fini par Henri Mazeaud (en 1936 !) pour appr�cier la faute, au sens de l’article 1382 du code civil. Elle se r�f�re, ainsi, � une obligation g�n�rale de prudence et de diligence. Le 8 juin 2000, la cour d’appel de Versailles estime, en effet, que l’h�bergeur doit prendre toutes les pr�cautions n�cessaires pour �viter de l�ser les droits des tiers, en mettant en �uvre des moyens raisonnables d’information, de vigilance et d’action.

Il devra ex�cuter les " diligences appropri�es " s’il a " conscience ou est inform� de l’ill�galit�, de l’illic�it� ou du caract�re dommageable du contenu du site ". Cette exigence de spontan�it� est limit�e, cependant par " l’incomp�tence ou l’abus de droit de l’h�bergeur � appr�cier l’ill�galit�....... ". L’appr�ciation de la responsabilit� des h�bergeurs semble donc totalement subjective et il appara�t que la jurisprudence exige, aujourd’hui, plus une obligation de surveillance des sites qu’une obligation de vigilance (m�me si les d�cisions font toujours r�f�rences � la vigilance). Or cela transforme la nature m�me de l’obligation, passant d’une simple obligation de moyen � une obligation de moyen renforc�e. Une simple faute l�g�re suffit alors � engager leur responsabilit�. Et c’est dans ce sens que para�t se diriger la jurisprudence r�cente.

Les responsabilit�s sont donc plus ou moins bien fix�es. L’administrateur de site est, � l’�vidence, le plus expos�, les autres intervenants n’ayant qu’une responsabilit� th�orique. La s�curit� juridique r�clam�e serait donc pr�sente au niveau de la recherche d’un responsable : si une personne est diffam�e sur internet, elle pourra citer l’auteur ou le directeur. Mais l’ins�curit� est, certainement, ailleurs. Car les d�cisions r�centes mettent en lumi�re quelques incoh�rences r�v�latrices d’une v�ritable g�ne dans l’application par les tribunaux de la loi de 1881 � ce support.

Au premier rang desquelles : la prescription.

Le d�bat est tranch�, mais cette d�licate question a cr�� des controverses. En mati�re de presse, en effet, la prescription est de trois mois � compter du jour de la commission du d�lit. Ce court d�lai �tait motiv� � la fin du 19�me si�cle, par la volont� de sauvegarder la paix publique et pour que les directeurs de r�daction ne craignent pas trop longtemps une proc�dure pour des faits peut-�tre oubli�s, mais �galement pour pr�server une libert� : la libert� d’expression. La cour de cassation a, de mani�re assez autoritaire, rappel� � l’ordre les Cours et Tribunaux adaptant le point de d�part de la prescription. Le d�lai de prescription commence le jour du premier acte de publication et non le jour o� les faits ont �t� constat�s (Cass.Crim du 30 janvier 2001). Et la chambre criminelle insiste en pr�cisant, dans un arr�t du 16 octobre 2001, que le fait que le texte litigieux soit encore accessible ne change rien. Le d�lai court � partir de la premi�re publication.

Cette position en complet d�calage avec la doctrine et la jurisprudence des tribunaux reste tr�s critiquable. La chambre de la presse avait, pour refuser cette position, avanc� un argument tr�s pertinent en consid�rant que " la pratique d’internet a pour objet et pour r�sultat d’autoriser une accessibilit� imm�diate et constante � des documents qui auraient sombr� graduellement dans l’oubli, mais que ces progr�s techniques p�rennisent dans la m�moire des hommes " (TGI Paris 17e Ch. 6 d�cembre 2000). Consid�rer la diffamation sur internet comme une infraction instantan�e revient � nier la sp�cificit� de ce nouveau support. Peut-on, d�s lors, encore parler de s�curit� juridique ?

Trouver le coupable mais ne pouvoir pratiquement pas le poursuivre, est-ce encore r�pondre � l’exigence constitutionnelle de responsabilit�, �nonc� en 1999 (C.Const. 9 nov.1999) par le conseil ? Et cela deviendrait, m�me, facteur d’injustices. Car les produits et services, exclus de la loi de 1881, peuvent b�n�ficier, s’ils sont attaqu�s, de la protection de la responsabilit� civile avec sa prescription trentenaire. Ainsi, celui qui calomnie une personne et porte atteinte � son honneur sera, malgr� le caract�re p�nal de sa faute, dans une situation plus confortable que celui qui critique de mani�re virulente une voiture ou un aspirateur.

De la m�me mani�re peut-on encore parler de s�curit� juridique quand il est totalement impossible d’imaginer � l’avance l ’�tendue de l’indemnisation de son pr�judice, allant du ridiculement faible � de tr�s excessifs " punitives damages ". L’affaire pere-no�l.fr est r�v�latrice de ce malaise de l’indemnisation. Les praticiens du droit de la presse ont, pour la plupart, �t� surpris par l’ampleur des dommages et int�r�ts accord�s. Pour une diffamation sur un forum, le tribunal de grande instance de Lyon a condamn� les administrateurs du site � payer au demandeur, 80 000 euros. Cette allocation astronomique refl�te, en v�rit�, un probl�me de m�thode. Pour les pr�judices corporels, tous les Tribunaux ont des grilles d’indemnisation, pour les litiges li�s � la concurrence, il faut prouver l’�tendu de son dommage mais pour les atteintes � la r�putation, comme � l’image, il convient de s’en remettre � la convenance totalement subjective du juge. Or de deux choses l’une, soit notre droit consid�re que le seul moyen de r�gler le probl�me du pr�judice d’image est d’allouer les " punitives damages " anglo-saxons et toute la jurisprudence suit ce mouvement, soit il faut mettre au point une v�ritable proc�dure d’�valuation et conserver notre approche de r�paration int�grale du pr�judice caus� (" tout le dommage mais rien que le dommage ").

Tout est, en effet, question de coh�rence.

La s�curit� juridique n’est donc pas �vidente sur internet, mais elle n’est pas sp�cifique � ce support. Peut-�tre faudrait-il repenser la loi de 1881. L’appliquer religieusement � tout nouveau m�dia m�ne � une impasse. Cr�er continuellement des sous-cat�gories est certainement injuste et entra�ne une hi�rarchisation des auteurs avec la caste des journalistes et celle des r�dacteurs amateurs.

L’internationalisation, non seulement de la presse, mais aussi des vecteurs d’information va conduire in�vitablement � une mutation du syst�me juridique r�gissant l’information. Un juge Australien peut juger, ainsi, de propos diffamatoires tenus sur un site am�ricain, par un auteur am�ricain (the supreme court of Victoria : 28.08.2001).

O� se trouve la s�curit� juridique si un auteur fran�ais peut �tre poursuivi sur un fondement juridique autre que celui qu’il est cens� conna�tre ? Basile Ader s’en inqui�tait d�j� en 1997, jugeant que " les r�gles applicables auront n�cessairement vocation � terme � devenir identiques d’un pays � l’autre " et consid�rant cette uniformisation comme le " principal risque qu’encourt notre loi de 1881 ".

En r�alit�, cette question est pr�sente dans tous les domaines du droit touch�s par la mondialisation dont internet est non seulement le symbole mais l’instrument. Dans un article intitul� Le droit et l’internet, nous �crivions en novembre 2000, que la s�curit� juridique en Europe, confront�e � internet, devrait passer un peu plus par une forme d’autor�gulation des acteurs et des auteurs et un peu moins par des lois. Le constat aujourd’hui, demeure mais il convient de souligner que les contentieux port�s devant nos tribunaux, permettent toujours d’apporter des r�ponses aux d�fis lanc�s par les technologies de l’information et de la communication.

Enfin, s’agissant de la question du caract�re obsol�te ou non de la loi de 1881, il faut faire mention de cette d�cision de la Cour europ�enne des droits de l’homme du 25 juin 2002, qui a condamn� la France pour violation de l’article 10 de la convention, relatif � la libert� d’expression et au droit du public � �tre inform�, au motif que le d�lit d’offense aux Chefs d’Etat �trangers contenu dans la loi de 1881, contrevenait � cette disposition, que celle-ci " �tait d�su�te... et ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui ".

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