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DROIT & MARQUES
La marque et la libert� d’expression : un rire amer ?
Jurisprudence
Publié le mardi 26 août 2003
Par M�lynda Moulla
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I. D�finition et protection de la marque

La marque a pour fonction principale de d�signer et d’identifier les produits et services d’une entreprise. Selon l’article L 711-1 du CPI : "La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de repr�sentation graphique servant � distinguer les produits d’une personne physique ou d’une personne morale."

Au-del� de la d�finition juridique, et selon l’expression emprunt�e � David J. Rebstein, elle a pour finalit� " (d’) apporter au consommateur une information, et ce faisant r�duire ou �liminer le besoin de se renseigner sur un produit avant d’acheter celui-ci."(1)

Actif incorporel d’une valeur inestimable, la marque est avant tout le r�ceptacle de nos projections. Les produits se trouvent ainsi rel�gu�s au second rang, elle v�hicule des styles de vie, propose diff�rentes fa�ons de se pr�senter au monde, diff�rentes images de soi, narcissise � outrance le consommateur. Elle constitue un outil de ralliement de la client�le.

Une fois attach� � la marque, le consommateur devant, dans l’id�al, se d�tourner des autres marques portant sur le m�me produit.

La marque, pour �tre appropriable doit remplir un certain nombre de conditions :

� Elle doit �tre distinctive, pour cela la marque doit appara�tre comme arbitraire par rapport aux produits qu’elle d�signe, le rapport de la marque aux produits doit �tre surprenant, inattendu. L’arbitraire n’est pas synonyme d’originalit�, l’originalit� est un crit�re de protection en droit d’auteur, non en droit des marques. Cette condition emp�che l’appropriation des termes n�cessaires � la description d’un produit ou d’un service qui pourra�t g�ner les concurrents.

� Elle doit �tre disponible : Elle ne doit pas avoir fait l’objet d’une appropriation et ne doit pas porter atteinte � des droits ant�rieurs.

� Le signe ne doit pas �tre exclu par la loi et ne doit pas �tre contraire aux bonnes m�urs

-Principe de sp�cialit� :

Il faut retenir que l’appropriation de la marque est limit�e par le principe de sp�cialit�, cette derni�re ne conf�re qu’un droit exclusif d’usage, droit qui se trouve limit� � l’utilisation du signe pour la cat�gorie de produits ou de services mentionn�s dans l’acte d’enregistrement. Ce droit n’est donc opposable en th�orie qu’aux concurrents, c’est-�-dire aux entreprises qui proposent des produits identiques ou similaires. Il est fait exception � ce principe dans le cas des marques notoires qui vont �tre prot�g�es contre les agissements parasitaires au-del� du principe de sp�cialit�.

-  Sanctions de la reproduction de la marque sans autorisation :

La contrefa�on est un d�lit � la fois civil et p�nal, le titulaire de la marque peut donc obtenir r�paration de l’atteinte sur l’un ou l’autre fondement. On trouve une d�finition de la contrefa�on � l’article L 716-1 du CPI : "L’atteinte port�e au droit du propri�taire de la marque constitue une contrefa�on engageant la responsabilit� civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions pr�vues aux articles L 713-2, L 713-3 et 713-4".

-  3 hypoth�ses peuvent donner lieu � une action en contrefa�on. Me Andr� R. Bertrand a �labor� dans l’ouvrage pr�cit� une "typologie des atteintes pouvant �tre port�es aux marques" :

� La contrefa�on "stricto sensu" pr�vue par l’article L 713-2 (a) : Cet article sanctionne la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque auxquels seraient adjointes des formules telles que : "Fa�on, syst�me, genre..." ; il sanctionne �galement l’usage d’une marque reproduite lorsqu’elle porte sur des produits ou des services identiques � ceux d�sign�s dans l’enregistrement. M. Andr� R Bertrand parle de contrefa�on stricto sensu dans la mesure o� le d�lit est constitu� par la seule reproduction, le titulaire n’ayant pas � rapporter la preuve d’un risque de confusion.

� La contrefa�on "lato sensu" pr�vue par l’article L 713-3 (a) : "Sont interdits, sauf autorisation du propri�taire, s’il peut en r�sulter un risque de confusion dans l’esprit du public : a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires � ceux d�sign�s dans l’enregistrement". Pour qu’il y ait atteinte, il faut une identit� absolue de signes, une similarit� entre produits ou services et un risque de confusion.

� La contrefa�on par imitation : L 713-3 (b) : L’imitation illicite vise : "L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imit�e pour des produits ou services identiques ou similaires � ceux d�sign�s dans l’enregistrement". Le contrefacteur doit avoir repris un �l�ment d’une marque enregistr�e : �a peut �tre un �l�ment phon�tique, visuel..., les produits vis�s doivent �tre identiques ou similaires et il doit r�sulter de ces deux �lements un risque de confusion. La CJCE est venue pr�ciser par un arr�t du 29 septembre 1998 Canon ce qu’il fallait entendre par "risque de confusion" : "(...) constitue un risque de confusion le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la m�me entreprise (...)".

Au-del� de ces 3 hypoth�ses, il est important de rappeler que d’autres atteintes peuvent �tre sanctionn�es sur un autre terrain, ainsi en est-il du d�nigrement et des agissements parasitaires qui visent les marques renomm�es.

Incidence de la notori�t� sur la protection offerte par le CPI :

La r�paration de l’atteinte due � l’exploitation de la marque notoire en dehors du domaine de sp�cialit� rel�ve des actes de parasitisme et �chappe � la protection instaur�e par le CPI. L’atteinte sera r�par�e sur le terrain de la responsabilit� civile, sur le fondement de l’article 1382 du code civil. La notori�t� d’une marque se mesure au degr� de connaissance qu’a le public de celle-ci, lorsqu’elle est connue par une large partie de la population, elle peut �tre qualifi�e de notoire.

L’int�r�t d’une telle qualification r�side dans le contr�le qu’op�reront les juges et dans l’appr�ciation qu’ils porteront sur la notion de similarit�, celle-ci sera accueillie plus facilement dans le cadre d’une action en CF. Ainsi, m�me si les produits sont diff�rents, si les consommateurs croient qu’ils proviennent de la m�me entreprise, les juges retiendront le d�lit de CF. Si, au contraire, il n’y a aucun risque de confusion, le principe de sp�cialit� retrouve son plein empire, la marque ne sera prot�g�e que pour les produits d�sign�s lors de l’enregistrement.

-  L’atteinte � l’image d’une marque : le d�nigrement

L’atteinte port�e � l’image d’une marque en dehors de toute atteinte contrefaisante, appel�e "d�nigrement" pourra �tre sanctionn�e sur le fondement de la responsabilit� civile de droit commun.

Le droit des marques ne souffre que de peu d’exceptions, la liste se r�duit � une peau de chagrin L 713-6. Ces exceptions sont : l’�puisement des droits � l’int�rieur de l’Union europ�enne, l’utilisation d’un nom patronymique � titre de d�nomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est ant�rieure � l’enregistrement du signe en tant que marque et lorsqu’elle est utilis�e de bonne foi par le tiers. Lorsque la r�f�rence � la marque est n�cessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service lorsque le risque de confusion est absent.

La derni�re exception l�gale sp�cifique au droit des marques r�sulte de la loi du 18/01/1992 sur la publicit� comparative, celle-ci est fortement d�limit�e, il est pr�cis� qu’elle ne peut porter que sur les "caract�ristiques essentielles, significatives, pertinentes et v�rifiables des biens et des services de m�me nature". Elle ne peut en aucun cas "avoir pour objet principal de tirer avantage de la notori�t� attach�e � cette marque".

La question qui se pose aujourd’hui de plus en plus en jurisprudence et sur laquelle va porter le pr�sent commentaire est de savoir dans quelle mesure la libert� d’expression et la parodie peuvent constituer de nouvelles limites au droit des marques.

La jurisprudence ne s’est jamais clairement prononc�e en faveur de l’admission de la parodie en droit des marques. La Cour d’appel de Paris avait d’ailleurs rejet� l’exception invoqu�e par des coll�giens qui avaient diffus� des affiches qui discr�ditaient certaines marques de tabac (28/01/1992).

Une autre d�cision rendue par le TGI de Paris en date du 5/06/1996 a eu � se prononcer sur l’exception de parodie. Celle-ci a admis l’id�e que l’exception de parodie puisse �ventuellement �tre �tendue aux marques, mais a rejet� l’exception au motif que le caract�re servile de la reproduction s’opposait � toute id�e de caricature.

La seule d�cision, et non la moindre, qui ait reconnu droit de cit� � la parodie est l’arr�t d’Assembl�e Pl�ni�re du 12 juillet 2000 : "Les Guignols de l’info", la cour avait reconnu le contexte satirique dans le cadre duquel se situait l’�mission, ainsi elle affirma qu’en l’absence de confusion dans l’esprit des t�l�spectateurs, les propos pr�t�s � la marionnette de J Calvet ne d�nigraient nullement les voitures de l’ancien PDG de Peugeot. Il �tait logique de penser que cet arr�t consacrait l’entr�e de la parodie en droit des marques, �a n’a pas �t� le cas, ce n’est que tout r�cemment que la CA de Paris est venue confirmer l’�volution jurisprudentielle qui avait �t� esquiss�e en 2000.

Aujourd’hui, il est possible de dresser un nouveau bilan � l’aune des nouvelles pr�occupations et exigences en mati�re d’information. Il �tait temps de remettre en cause le r�le attribu� aux marques dans notre soci�t�, de mettre fin � la "tyrannie des marques".

II. Exception au droit exclusif de reproduction de la marque

L’article L122-5 du CPI expose les exceptions l�gales � la protection accord�e aux titulaires d’une �uvre de l’esprit dont l’�uvre a �t� divulgu�e par son auteur. Parmi celles-ci, se trouvent "la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre". La question qui se pose � l’heure actuelle est de savoir dans quelle mesure il serait possible d’affirmer que ce droit � la parodie s’�tend � tous les signes distinctifs et non pas seulement aux �uvres de l’esprit.

Pour illustrer les enjeux, le pr�sent commentaire s’articule autour de trois d�cisions : Areva, Esso et Danone.

Question soulev�e par ces arr�ts :

1) Les affaires ESSO et AREVA : 26 f�vrier 2003

Parodier des marques figuratives ce n’est pas n�cessairement contrefaire.

Il est aujourd’hui possible d’esquisser gr�ce � deux arr�ts une �bauche de r�ponse : les deux affaires en cause ont toutes deux le m�me "adversaire" : Greenpeace, l’ardente d�fenderesse de la nature. La 1�re opposait cette derni�re au groupe nucl�aire fran�ais Areva, elle lui reprochait d’avoir d�tourn� la marque sur son site internet. L’association avait repris la lettre "A", et y avait ajout� une ombre repr�sentant le symbole nucl�aire avec une t�te de mort. La seconde esp�ce opposait Esso � l’association, cette derni�re avait critiqu� les pratiques du groupe p�trolier am�ricain Esso, en parodiant la marque, elle avait substitu� aux S d’"Esso" deux "$$" pour illustrer son propos.

L’internaute pouvait trouver ces deux marques "stigmatis�es" sur le site de l’association. Les deux groupes ont utilis� la proc�dure sp�ciale instaur�e par l’article L 716-6, proc�dure particuli�re qui ne s’applique qu’en mati�re de contrefa�on de marques.

L’imitation doit �tre �trang�re � toute intention de lucre

Le TGI a jug� dans l’affaire Areva que "La finalit� des imitations de Greenpeace ne se situe pas sur le terrain commercial mais sur le terrain de la libert� d’expression dans le cadre du droit � la critique et � la caricature". Il a rejet� l’argument tir� du risque de confusion qui ne pouvait �tre qu’inexistant compte tenu de "la notori�t� de l’�diteur du site", les utilisateurs ne pouvaient croire que les informations provenaient des entreprises titulaires des marques litigieuses.

Dans la seconde affaire opposant l’association au groupe Esso, le juge a fait droit aux demandes de ce dernier en reconnaissant le risque de confusion que la transformation du logo pouvait induire dans l’esprit des internautes : ordonnance du 8/07/02, l’association ne pouvait "s�rieusement s’�tre plac�e, lorsqu’elle s’est appropri�e la marque sur le terrain de la cr�ation artistique". Elle rappelle dans son dispositif la place occup�e par la libert� d’expression dans la hi�rarchie des normes : "principe � valeur constitutionnel". Cette libert� implique (...) que l’Association Greenpeace puisse, dans ses �crits ou sur son site internet, d�noncer sous la forme qu’elle estime appropri�e (...) les atteintes � l’environnement et les risques caus�s � la sant� humaine par certaines activit�s industrielles",( CA Paris, 14�me chambre 26/02/03).

2)L’affaire DANONE : Nouveaux rebondissements : CA Paris 30 avril 2003 (2)

Une autre affaire a suscit� un int�r�t tout aussi vif chez les juristes et les m�dias, c’est l’affaire Danone c/ Le R�seau Voltaire (h�bergeur du site : "jeboycottedanone.com") et M Malnuit .

Le Groupe Danone a proc�d� en 2001 � l’annonce d’un plan de restructuration, les syndicats ont donc, quelques jours apr�s cette annonce, mis en ligne un site internet dont l’adresse originaire �tait celle du R�seau Voltaire pour la libert� d’expression, devenue peu de temps apr�s "jeboycottedanone.com".

Le Groupe Danone r�clamait la radiation des noms de domaine en pr�cisant que les propos exprim�s sur ce site �taient fautifs et t�moignaient d’une intention d�lib�r�e de discr�diter le groupe dans sa totalit�.

Il soutenait que l’enregistrement des noms de domaines �tait constitutif d’une contrefa�on de la marque verbale Danone et que ces derniers ne pouvaient en aucun cas reproduire la marque semi-figurative.

Possibilit� de reproduire le logo d’une marque complexe pour illustrer un propos pol�mique

Le 4 juillet 2001, la 14�me chambre du TGI de Paris a d�bout� le groupe de sa demande de radiation des noms de domaine mais a fait droit � la demande tenant � l’interdiciton de l’usage de la marque semi-figurative. M Malnuit interj�te appel du jugement et demande � la CA d’infirmer la partie du jugement lui interdisant d’utiliser les marques semi-figuratives.

Il s’agissait de savoir dans quelle mesure l’utilisation du logo auquel ont �t� apport�es certaines modifications pouvait �tre qualifi�e de contrefaisante au regard de l’objet sp�cifique du droit des marques.

Le TGI avait accueilli l’action en CF intent�e par Danone uniquement pour la reproduction de la marque semi-figurative, la CA est revenue sur ce point, elle a infirm� le point de vue du TGI sur la question de l’utilisation de la marque semi-figurative et a confirm� pour le reste la premi�re ordonnance. Elle a consid�r� que la finalit� de l’imitation du logo ainsi que l’utilisation de la marque verbale �taient �trang�res � toute id�e de promotion commerciale. Selon elle, les signes utilis�s par les fondateurs et participants du site ne constituaient qu’un mode d’expression des cons�quences sociales des plans de restructuration. Elle d�clare que cette utilisation "rel�ve au contraire d’un usage purement pol�mique, �tranger � la vie des affaires (...) la r�f�rence � la marque Danone �tait n�cessaire pour expliquer le caract�re politique ou pol�mique de la campagne (...) que, contrairement aux all�gations des soci�t�s Groupe Danone et Cie Gervais Danone, leurs produits n’�taient nullement d�nigr�s ni m�me vis�s (...)".

Conditions de la reproduction : Absence de d�nigrement et de confusion

Ainsi, elle change de terrain d’appr�ciation en passant du droit des marques � la libert� d’expression. Elle parvient � cette conclusion en conciliant la libert� d’expression avec la propri�t� exclusive instaur�e par le droit des marques. Elle d�montre que ces deux droits ne sont nullement incompatibles, dans la mesure o� le risque de confusion exig� par l’article L 713-3 pour qualifier la reprise de contrefaisante n’existait pas en l’esp�ce.

Sur la question du d�nigrement des produits commercialis�s par ces soci�t�s, elle fait observer que : "leurs produits n’�taient nullement d�nigr�s ni m�me vis�s, puisque sur les sites litigieux, on rel�ve, tout au contraire, des mentions telles que "on aime nos produits. On a envie de continuer � les fabriquer...".

Ainsi, ce n’est pas tant le droit des marques qui courbe l’�chine pour faire place � la libert� d’expression, mais plut�t un juste retour � l’application des r�gles de droit, celles du CPI. Le droit des marques n’a pas �t� bafou�, il n’�tait tout simplement pas applicable en l’esp�ce en l’absence de confusion et de d�nigrement. Ce qui vaut pour les noms de domaine vaut �galement pour l’utilisation des marques verbales et figuratives. Ainsi la reproduction d’un signe distinctif est admise pour faire �tat d’un conflit social, � condition le rappelle la CA de respecter les droits d’autrui.

Limite : Respect des droits d’autrui

Cette d�cision consolide le droit de critique et constitue in�vitablement une arme non n�gligeable dans les rapports de force opposant les salari�s et leurs repr�sentants syndicaux aux grands groupes soci�taires. Compte tenu de l’impact potentiel et des perspectives de diffusion mondiale de ces informations sur internet, il appara�t tout aussi important d’encadrer cette libert�, le droit des marques constitue bien �videmment un premier obstacle de droit, et la CA rappelle : "que si cette libert� n’est pas absolue, elle ne peut n�anmoins subir que les restrictions rendues n�cessaires par le respect des droits d’autrui".

III. Deux analyses possibles des d�cisions de la CA de Paris dans les affaires cit�es � titre d’exemple

Admission d�finitive de la parodie en droit des marques ou pragmatisme jurisprudentiel ?

Dans les trois affaires : Areva, Esso et Danone, la CA de Paris a adopt� un raisonnement "finaliste". Dans les 2 premi�res affaires, elle a, pour donner raison � Greenpeace, mis en avant la finalit� des imitations. Ainsi, alors que Greenpeace se fondait sur le droit � la caricature, la CA a cru bon de faire appel � un principe constitutionnel : la libert� d’expression. Cela signifierait que le droit � la parodie, seul, ne suffirait pas � "vaincre" la protection accord�e par le droit des marques, il faudrait en plus que cette d�marche soit justifi�e par un but plus �lev�. On ne serait pas libres, si l’on s’en tient � cette interpr�tation, de parodier une marque si aucun contexte "informationnel" ne justifie cette utilisation. La parodie en droit des marques perdrait le sens qu’on lui pr�te habituellement, la gratuit� serait exclue lorsqu’une marque et les produits d’une entreprise sont en cause.

Dans l’affaire Danone, la ligne de d�fense adopt�e par l’h�bergeur du site et M.Malnuit �tait diff�rente de celle de Greenpeace, puisque ces derniers se fondaient quasi-exclusivement sur la libert� d’expression. Ce qui para�t logique dans la mesure o� la marque semi-figurative reproduite l’a �t� sans modification "parodique" du logo, la seule modification apport�e se trouvant dans la substitution d’un trait noir au trait rouge originel. Pour le reste, le logo n’a subi aucune m�tamorphose risible, � la diff�rence des logos d’Esso et d’Areva. Une fois ces constats �tablis, il �tait naturel que la CA de Paris ne reprenne pas dans l’affaire Danone, le m�me dispositif. Cependant, au-del� de ces diff�rences, le principe de la libert� d’expression figure dans les dispositifs de chacune de ces 3 d�cisions.

A ce niveau, deux questions se posent : est-ce que la CA a r�alis� une simple extension de l’article L 122-5 au droit des marques, ou a t-elle voulu signifier que l’exception de parodie en droit des marques n’est concevable que si elle est mise au service d’une libert� fondamentale : la libert� d’expression ?

1)1�re analyse :

L’unique argument que l’on pourrait faire valoir � l’appui de la 1�re hypoth�se et qui pourrait �tre une des explications possibles � l’ambigu�t� de la solution serait celui de la crainte d’�tendre une exception que n’avait pas pr�vue le l�gislateur au droit des marques. Ceci expliquerait qu’elle ne se soit pas fond�e sur L 122-5 ainsi que le d�tour par la libert� d’expression.

2) 2�me analyse :

S’il ne s’agissait que d’une simple extension de l’exception au droit des marques, la CA l’aurait exprim� un peu plus explicitement.

� Elle n’aurait pas mis en avant avec autant de force le principe de la libert� d’expression.

� Le rappel implicite � la hi�rarchie des normes n’est pas anodin. En effet, le fait de rattacher la parodie � cette libert� constitutionnelle permet de se placer au-dessus du CPI et ainsi, de d�passer l’exception pos�e en mati�re de droit d’auteur sans que l’on puisse lui reprocher un exc�s de z�le. En posant comme principe que la parodie constitue une modalit� d’exercice d’une libert� fondamentale, elle courcircuite habilement l’article L 122-5, il ne pourra pas lui �tre reproch�e de s’�tre "substitu�e" au l�gislateur.

IV.Conclusion sur les enjeux de la marque figurative et le "risque parodique"

D�finition

Les marques figuratives sont les signes visibles, sensibles qui s’imposent au consommateur dans sa globalit� d�s le premier regard.

Parmi ces signes, la loi �num�re notamment : "Les dessins, les �tiquettes, les cachets, les lisi�res, les reliefs, les hologrammes, les logos et images de synth�se".

La marque figurative en cause dans l’affaire Danone est compos�e "d’un cartouche en forme de polygone de couleur bleue comportant dans sa partie inf�rieure un trait inclin� rouge et au centre, en lettres blanches, la d�nomination "danone" ".

On parle de marque semi-figurative car en l’esp�ce, le cartouche en forme de polygone n’est pas le seul �l�ment r�v�lant la marque, la d�nomination Danone faisant corps avec le logo. Une marque seulement figurative ne se nomme pas, � la diff�rence de la marque semi-figurative.

R�le de l’�l�ment figuratif dans l’appr�ciation du risque de confusion

-  M�thode d’appr�ciation du risque de confusion :

Pour appr�cier le risque de confusion, il convient d’analyser quel r�le joue l’�l�ment figuratif, quelle place occupe-t-il dans l’ensemble constitu� du logo et du nom.

Lorsque la reproduction n’est pas exacte comme c’�tait le cas dans cette affaire, les juges ont recourt au concept d’imitation illicite de la marque, exprim� � l’article L 713-3 (b), ce dernier vise "l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imit�e, pour des produits ou services identiques ou similaires � ceux d�sign�s dans l’enregistrement". "Sont interdits, sauf autorisation du propri�taire, s’il peut en r�sulter un risque de confusion dans l’esprit du public". Ainsi, si au jour de l’action en CF, la marque imit�e est utilis�e pour des produits ressemblants, et que l’apposition de cette marque sur ces derniers est de nature � induire en erreur un consommateur moyennement attentif, il y a risque de confusion. Ce risque est encore plus important lorsqu’il s’agit d’une marque notoire comme Danone. Une d�fintion de la notori�t� a �t� �labor�e par la CJCE dans un arr�t Chevy, elle implique "un certain degr� de connaissance de la marque aupr�s du public". Elle est prot�g�e comme toute marque et m�me au-del� contre toutes les personnes qui chercheraient � tirer un profit ill�gitime "de son caract�re distinctif ou de sa renomm�e" ou "susceptibles de lui porter pr�judice".

Les enjeux de la marque figurative et explications des r�ticences relatives � la reproduction de celle-ci

Dans l’affaire Danone, la premi�re ordonnance avait d�bout� le groupe de ses pr�tentions relativement au grief de contrefa�on de la marque verbale Danone et de son utilisation dans le nom de domaine "jeboycottedanone.com" au motif que cette reproduction correspondait � une r�f�rence n�cessaire "pour indiquer la destination du site pol�mique (...) ; qu’associ� au terme tr�s explicite "jeboycotte", il ne peut conduire, dans l’esprit du public, � aucune confusion quant � l’origine du service offert sous ce nom ; que l’enregistrement de la marque Danone ne peut faire obstacle � une telle r�f�rence".

Elle avait en revanche retenu le grief de contrefa�on pour la reproduction de la marque semi-figurative au motif qu’une telle utilisation n’�tait nullement indispensable pour illustrer leur propos.

Comme la CA ne pouvait pas sanctionner sur un autre terrain la reproduction "quasi-servile" du logo, elle a opt� pour la contrefa�on alors que les conditions de cette derni�re n’�taient pas r�unies (destination non commerciale, pas de concurrence, aucun risque de confusion possible dans l’esprit du consommateur). Il semblerait que le chef de contrefa�on n’ait �t� retenu qu’� d�faut de pouvoir limiter l’utilisation de la marque figurative sur un autre fondement. Elle introduirait ainsi une condition qui n’existe dans aucun texte relatif au droit des marques, la reproduction de la marque n’�chapperait au d�lit de CF que lorsqu’elle appara�trait n�cessaire, indispensable � l’illustration du propos, ce que les premiers juges ont refus� de reconna�tre dans l’affaire Danone.

Au-del� de cette appr�ciation de la n�cessit� de la reproduction, se profile la volont� de prot�ger les entreprises et leur marque de fabrique. Personne n’ignore la supr�matie des images sur le verbe. Les entreprises courrent le risque que le consommateur associe d�finitivement la marque Danone au terme boycott et qu’il se d�tourne ainsi de fa�on inconsciente et quasi pavlovienne des produits. Les mots font appel � la r�flexion alors que l’image, beaucoup plus sournoise sollicite les sens et s’impose � l’esprit sans autre effort.

De la parodie pour rire � la parodie pour informer

La parodie a g�n�ralement pour finalit� de cr�er un effet comique, elle sert aujourd’hui � appuyer un propos, � critiquer de fa�on acerbe les pratiques de soci�t�s.

Il faut n�anmoins se garder de confondre la parodie avec le d�nigrement, comme le rappelle le r�seau voltaire dans son m�moire conclusif, l’usage parodique de la marque suppose la r�union de trois conditions : "l’absence de finalit� commerciale ; l’absence d’intention de nuire ; l’absence de risque de confusion dans l’esprit du public". Selon ce dernier, "le droit des marques doit �tre cantonn� � sa finalit� propre, � savoir garantir l’origine et la qualit� des produits, et ne peut �tre d�tourn� pour justifier ou prot�ger une politique sociale".

Ainsi, la fronti�re entre l’intention de nuire et la parodie destin�e � informer est t�nue. La libert� d’expression servant � attirer l’attention du public sur la politique sociale d’un employeur ou sur ses strat�gies industrielles s’arr�te fort heureusement d�s lors que sa protection n’appara�t plus l�gitime.

L’�galit� des armes : une utilisation mod�r�e mise au service de la libert� d’expression

En autorisant la reproduction des marques figuratives, les juges consacrent l’�galit� des armes. D�s lors que les critiques apparaissent l�gitimes et s�rieuses, l’arsenal de communication d�ploy� par les entreprises peut �tre "d�tourn�" en toute l�galit�. La libert� d’expression ne peut justifier � elle seule cette atteinte ; la possibilit� de d�tourner le logo d’une marque notoire est une arme redoutable, pouvant m�me aller jusqu’� ruiner tous les efforts en terme d’investissements, voire m�me, d�solidariser le consommateur de la marque. L’enjeu est consid�rable, cependant ce constat doit �tre mod�r�, ce n’est que si la caricature n’est pas gratuite qu’elle pourra �chapper � la sanction. Autrement dit ce n’est que lorsque la marque n’appara�t plus digne de protection compte tenu des agissements de l’entreprise que ce qui aurait pu �tre per�u comme du d�nigrement de marque devient de la caricature.

Alors qu’en droit d’auteur, la caricature est prise pour elle-m�me, c’est-�-dire pour sa fonction de divertissement, elle ne rev�t pas le m�me sens en droit des marques. En droit des marques, la caricature atteint directement la strat�gie commerciale, elle ne laissera pas dans l’esprit du consommateur la m�me trace mn�sique comme lorsqu’une chanson est parodi�e. M�me ridicule, la r�minescence des paroles provoque le rire ou dans le pire des cas l’indiff�rence, lorsqu’un logo est parodi�, le ridicule de la situation peut tuer. L’effet de d�saveu de la part des consommateurs peut �tre instantan�, m�me si une minorit� seulement se d�tourne, la marque n’inspire plus autant confiance, les investisseurs se d�tournent.

Le droit des marques ne prot�ge des atteintes que lorsque les combats ont lieu sur le m�me champ de bataille : le Monde des Affaires. Les personnes qui se pr�valent de la libert� d’expression doivent faire preuve de lucidit� et de prudence, la libert� d’expression n’est en aucune mani�re au service du mensonge, c’est pourquoi, le travail de v�rification des informations, des all�gations doit �tre accompli avec minutie et circonspection.

Auteur
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M�lynda Moulla
Juriste
Post-Scriptum

Travail r�alis� pour le cabinet ANNE PIGEON-BORMANS

Sources :

(1)Cit� dans son ouvrage par Mr Andr� R. Bertrand : "Le droit des marques, des signes distinctifs et des noms de domaine".
(2)Site du R�seau Voltaire pour la libert� d’expression : www.reseauvoltaire.net "Arr�t de la cour d’appel de Paris, Danone contre R�seau Voltaire, 30 avril 2003".
(3)Site ZDNet articles de Christophe Guillemin concernant l’affaire Danone.

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