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ECONOMIE & DROIT
La protection de l’id�e � valeur �conomique (II�me partie - B et conclusion)
m�moire soutenu � la facult� de Lille II
Publié le lundi 15 décembre 2003
Par Pascaline Colombani
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B - Le recours au parasitisme �conomique

Le parasitisme �conomique est une notion dans laquelle nous incluons la th�orie des agissements parasitaires. La jurisprudence et certains auteurs parlent aussi de concurrence parasitaire, mais cela implique souvent un rapport de concurrence entre la victime et l’auteur du pr�judice. Or, si la th�orie du parasitisme essaie de prot�ger des cr�ations qui ne font pas l’objet d’un droit privatif, elle intervient aussi dans le cadre d’un litige opposant deux acteurs �conomiques mais qui ne sont pas concurrents. Ainsi, le parasitisme �conomique se substitue � l’action en concurrence d�loyale lorsque les conditions de sa mise en �uvre ne sont pas toutes r�unies.

Gr�ce � cette th�orie issue de l’�volution �conomique, l’id�e � valeur �conomique devient prot�geable (1), mais elle reste soumise � des conditions strictes, telles que la recevabilit� de l’action (2), la d�monstration de la faute (3) et la preuve du pr�judice (4).

1- La notion de parasitisme applicable � l’id�e � valeur �conomique

Selon le Professeur Le Tourneau, " la notion d’agissement parasitaire est apparue pour prot�ger les titulaires d’un signe, dont des tiers cherchaient � usurper la notori�t�, alors que les int�ress�s n’�taient pas en situation de concurrence (...) La notori�t� est une valeur �conomique, appr�ciable en argent, ayant un prix ". Si la notori�t� est une valeur commerciale, et qu’elle est consid�r�e comme un bien juridique, pourquoi en serait-il autrement des id�es, qui d�sormais sont pour la plupart r�put�es avoir une valeur �conomique ?

C’est d’ailleurs ce que constate ce m�me auteur, qui attribue une d�finition plus large aux agissements parasitaires : " Quiconque, � titre lucratif et de fa�on injustifi�e, s’inspire sensiblement ou copie sans n�cessit� absolue une valeur �conomique d’autrui, individualis�e, apportant une valeur ajout�e et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un effort intellectuel et d’investissements, commet un acte parasitaire fautif. Car cet acte, contraire aux usages du commerce, notamment en ce qu’il rompt l’�galit� entre les divers intervenants, m�me non concurrents et sans risque de confusion, fausse le jeu normal du march� et provoque ainsi un trouble commercial. Celui-ci est, en soi, un pr�judice certain dont la victime peut demander en justice la cessation et la r�paration, lorsqu’elle ne dispose pas d’une autre action sp�cifique, et qu’elle n’a pas b�n�fici� d’un droit privatif ayant expir� ".

La th�orie du parasitisme �conomique permet de condamner quiconque usurpe sensiblement une valeur �conomique d’autrui, alors qu’il n’est pas un de ses concurrents, r�duisant ainsi notablement ses investissements mat�riels et intellectuels, gagnant du temps, �vitant de prendre des risques. Le parasitisme est aujourd’hui reconnu par la jurisprudence qui l’emploi de plus en plus souvent pour des conflits diff�rents .

Selon cette m�me jurisprudence, le parasitisme se traduit par " l’utilisation d’une technique ayant n�cessit� des efforts tant intellectuels que financiers importants ". Il s’agit bien ici de l’usurpation des fruits de recherches, ayant une valeur �conomique importante pour l’entreprise. Cette utilisation abusive de l’id�e �conomique d’autrui pourrait non seulement avoir des cons�quences financi�res d�sastreuses pour l’entreprises ayant men� ces recherches, mais elle pourrait aussi d�clencher une d�sorganisation de l’entreprise, fait constitutif d’un acte de concurrence d�loyale.

Quoiqu’on en dise, le parasitisme �conomique joue un r�le d’�quit� puisqu’il permet de condamner des agents �conomiques dont le comportement n’est pas conforme � la morale des affaires, malgr� le fait qu’ils ne soient pas en situation de concurrence (sinon, il s’agirait d’une action en concurrence d�loyale classique). Comme toute action en justice, le parasitisme est lui aussi soumis � des conditions de recevabilit�.

2 - La recevabilit� de l’action

Rappelons que cette action reste soumise � des conditions. Dans un premier temps, l’action n’a qu’un caract�re subsidiaire, et la victime n’est recevable � agir que si elle ne dispose pas d’une autre voie juridique sp�cifique.

Dans un deuxi�me temps, l’action bas�e sur des agissements parasitaires ne peut �tre men�e que si le parasit� ne dispose pas d’un droit privatif, m�me expir�. D�s lors, l’action en parasitisme ne peut �tre ni suppl�tive, ni compl�mentaire � l’action en contrefa�on. Ainsi, comme dans le cadre de la concurrence d�loyale, l’action en agissements parasitaires n’est accueillie que si une faute, ind�pendante de celle �voqu�e � l’action en contrefa�on, est �tablie. En effet, leurs causes sont diff�rentes, et le parasitisme n’a pas vocation � s’appliquer aux droits privatifs.

En outre, la th�orie n’est applicable qu’� partir du moment o� l’usurpation intervient dans un contexte �conomique, et les parties au litiges ne se trouvent pas n�cessairement en situation de concurrence. Enfin, une des conditions requise de la mise en �uvre du parasitisme �conomique est relative � l’originalit� de l’id�e. N�anmoins, certaines jurisprudences s’attachent plus � l’usurpation du travail d’autrui que sur la n�cessit� d’une id�e originale : " il y a faute (...) � s’appuyer sur les initiatives et efforts " d’autrui [1].

La protection n’intervient qu’a posteriori, et n�cessite comme toujours en mati�re de responsabilit� civile la d�monstration d’une faute, d’un pr�judice et d’un lien de causalit�.

3 - La d�monstration de la faute

Il est indispensable de d�montrer l’existence d’une faute pour que le parasitisme soit reconnu. La plupart du temps on constate qu’il y a usurpation de l’id�e (a), mais il faut n�cessairement apporter la preuve de l’effort intellectuel (b), ainsi que le d�tournement d’un investissement (c). Pour autant, l’appr�ciation du parasitisme se fait de mani�re globale et le risque de confusion n’est pas indispensable (d).

a- L’usurpation de l’id�e

L’arr�t de la Cour d’Appel de Paris [2] consid�re qu’il y a usurpation de l’effort intellectuel et des investissements d’un concurrent : " lorsque, dans la r�alisation d’un objet, l’auteur, au lieu de donner libre cours � ses facult�s cr�atrices, les met en sommeil et conduit un processus d’�laboration asservi � l’imitation de l’�uvre d’autrui, cette d�marche intellectuelle fournissant l’impulsion au travail cr�ateur et lui servant de guide ".

Pour que le parasitisme soit retenu, l’id�e doit avoir pr�alablement �t� exprim�e, rev�tir la condition d’originalit�, constituer une valeur �conomique et surtout, avoir �t� utilis�e � des fins lucratives, sans autorisation par un tiers.

Par ailleurs, une entreprise de presse a �t� condamn�e par les juges du fond [3]pour avoir usurp� " le travail de recherche et de conception, en reprenant les id�es contenues dans la plaquette publicitaire con�ue par les cr�ateurs et (...) en exprimant ces id�es � plusieurs reprises au moyen des m�mes mots ". Le parasitisme a cette particularit� d’�voquer la reprise de l’effort intellectuel pour �tablir la faute.

b- La preuve de l’effort intellectuel

La victime doit en outre d�montrer avoir fourni des " efforts intellectuels " et d�montrer l’existence d’investissements, quels qu’ils soient. En effet, c’est la r�alit� des efforts qui est prise en compte, et non pas le co�t et le temps qui ont �t� n�cessaires � la mise en �uvre de l’id�e �conomique.

Dans un arr�t de la Cour d’Appel de Toulouse [4] les juges ont consid�r� que le parasitisme se traduisait par " une usurpation d’id�es et de techniques " dans le but de b�n�ficier de " l’innovation commerciale exploit�e par un concurrent ".

Une id�e, un concept et plus g�n�ralement une information doivent �tre originaux pour acc�der � une protection mais elles doivent encore �tre un travail qui a n�cessit� un investissement intellectuel ou financier, lequel peut �tre d�tourn�.

c- Le d�tournement des investissements

Toute copie n’est pas condamnable, surtout lorsqu’il s’agit d’une id�e dont le caract�re immat�riel emp�che toute appropriation. Le parasitisme permet une protection a fortiori des id�es �conomiques, mais celles-ci doivent provenir d’un effort intellectuel ou financier relativement important. La jurisprudence attend de la victime qu’elle d�montre l’ampleur de l’investissement r�alis� pour aboutir � l’id�e commerciale, car les juges ne peuvent condamner l’usurpation qu’� partir du moment o� elle a �t� r�alis�e sans effort d’invention ni d’apport nouveau. Ce qui m�rite protection, c’est l’apport que cet investissement permet de r�aliser.

Un auteur a pr�sent� r�cemment une nouvelle approche de l’agissement parasitaire : selon lui [5] " la reprise du fruit du travail d’autrui demeure fautive sauf si l’auteur de la reprise proc�de � une valeur ajout�e ". Le crit�re ne serait donc plus celui de l’effort ou de l’investissement mais celui de la valeur ajout�e. En mati�re d’id�e, d’information, de concept, cette nouvelle approche n’est gu�re satisfaisante puisqu’il suffirait qu’une personne s’approprie l’id�e d’une autre en ajoutant une ou deux modifications pour qu’elle ne soit pas consid�r�e comme fautive. Bien entendu, les juges devront appr�cier la " valeur ajout�e ", mais il semblerait difficile de juger si l’id�e de base a plus de valeur que l’id�e d�finitive, cela reviendrait � consid�rer le m�rite de la personne qui a trouv� ou modifier l’id�e, ce qui est exclu en mati�re de propri�t� intellectuelle. Il est plus opportun, en mati�re d’id�e � valeur �conomique, de pr�server le crit�re du d�tournement d’investissement.

Revenons encore une fois � la Proposition de loi de Xavier Desjeux.

L’article 5 �voque cette n�cessit� de l’existence d’un investissement : " La reprise de l’investissement �conomique r�sultant notamment des efforts de recherche ou d’un effort commercial, promotionnel ou publicitaire - lorsque celui-ci constitue une valeur �conomique individualis�e, personnelle et propre � son auteur - a pour effet imm�diat ou potentiel, la d�sorganisation de l’entreprise et un d�sordre �conomique anormal (...) ".

Il existe un autre type d’action qui est de plus en plus souvent intent�e suite � " l’utilisation sans autorisation du travail intellectuel d’autrui " : l’enrichissement sans cause.

Selon Andr� Lucas, " l’enrichissement sans cause constitue un fondement plus adapt� (contre l’utilisation illicite de cr�ations non prot�g�es) dans la mesure o� elle assure au cr�ateur une compensation financi�re tout en restant compatible avec le postulat selon lequel une cr�ation intellectuelle non prot�g�e appartient au domaine public ".

Trois �l�ments sont requis pour l’aboutissement d’une action pour enrichissement sans cause :

-  un enrichissement injuste et sans cause,
-  un appauvrissement corr�latif chez l’appauvri,
-  l’absence d’autres moyens juridiques pour obtenir satisfaction.

Un arr�t de la Cour d’Appel de Paris [6] consid�re qu’ " il y a faute engageant la responsabilit� dans les termes de l’article 1382 du Code Civil, � s’appuyer sur les initiatives et les efforts d’un concurrent pour entamer ses positions commerciales ". Les juges du fond ont en l’esp�ce reconnu un parasitisme �conomique et l’ont m�me d�fini comme " une prise de substance de l’autre ", qui, " ainsi appauvri " conduit au " d�p�rissement ".

Cette jurisprudence d�montre que l’appauvrissement du parasit� d�coule de l’enrichissement du parasite, cons�cutif � l’�conomie d’investissements r�alis�e. Contrairement � d’autres actions, le parasitisme n’exige pas la d�monstration d’un risque de confusion.

d- L’absence de risque de confusion

Le dommage est constitu� ind�pendamment de tout risque de confusion entre les acteurs �conomiques. L’action en agissements parasitaires est donc ouverte en l’absence de dommage constitu� d�s la simple tentative de copier le parasit�. Toute l’originalit� des agissements parasitaires r�side dans le fait que la parasite ne cherche pas forc�ment � cr�er une confusion dans l’esprit du public. Mais � partir du moment o� il existe une confusion, volontaire ou non, la client�le peut croire que les entreprises en cause appartiennent � la m�me soci�t� ou franchise, d�s lors, il y a concurrence, m�me involontaire.

Par ailleurs, il peut exister une usurpation d’id�e, de concept sans qu’il y est un risque de confusion, et il faut bien condamner ce genre d’agissement, c’est pourquoi le risque de confusion n’est pas exig� dans une action en parasitisme �conomique. Dans certains cas, et surtout en mati�re d’usurpation d’information, d’id�es, de plans ou de concepts, le profit r�alis� par le parasite ne r�sulte pas d’un d�tournement de client�le du parasit�, mais du d�tournement des investissements intellectuels et financiers de l’id�e ainsi usurp�e.

Un arr�t de la chambre commerciale de la Cour de Cassation [7] a rappel� que la constatation du parasitisme reposait sur une appr�ciation d’ensemble du concept commercial litigieux.

Cette d�cision intervient avant la transposition de la Directive n°98-71 CE du 13 octobre 1998, relative � la protection des dessins et mod�les, laquelle dispose dans son article 9 que " la protection conf�r�e (...) s’�tend � tout dessin ou mod�le qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression globale diff�rente ". Si la d�monstration du risque de confusion n’est pas requise, l’existence d’un pr�judice est en revanche exig�e.

4 - Le pr�judice

Le pr�judice est particuli�rement difficile � d�monter, et c’est sur ce point que la doctrine a eu le plus de doutes. G�n�ralement, le pr�judice est une perte de substance du patrimoine du commer�ant parasit�. La plupart du temps, il s’agit de la d�pr�ciation d’un signe, tel qu’une marque ; le d�tournement de client�le, lequel entra�ne une baisse du chiffre d’affaire ; la diminution ou la perte d’un avantage concurrentiel. La Cour d’Appel de Paris, dans un arr�t du 21 d�cembre 1991 [8] a caract�ris� le pr�judice comme " la g�ne dans les initiatives commerciales et la perte d’une chance de d�veloppement du parasit� ".

Concr�tement, le pr�judice d�coule de l’usurpation d’une notori�t� ou d’une technique, qui peuvent �maner d’id�es, lesquelles ayant demand� un effort financier. Il existe alors une perte de la valeur, de la notori�t� ou de la technique qui sont le fruit d’id�es.

CONCLUSION

L’id�e ayant une valeur �conomique et r�pondant � la condition de mat�rialisation est susceptible d’�tre prot�g�e. Cependant, cette protection n’est pas organis�e par le droit de la propri�t� intellectuelle en tant que tel, mais par le droit de la responsabilit�. En effet, la meilleure fa�on de prot�ger l’id�e � valeur �conomique est encore de la soumettre contractuellement pour asseoir sa paternit�. Elle peut faire l’objet de nombreux contrats et sera prot�g�e par le droit de la responsabilit� contractuelle. Lorsqu’en revanche, l’id�e � valeur �conomique n’est pas contractuellement �tablie, il reste la responsabilit� d�lictuelle pour soutenir l’auteur d’une id�e usurp�e.

Il est possible aujourd’hui, et ce, gr�ce aux �volutions doctrinales et jurisprudentielles d’accorder une protection aux id�es. Mais, une derni�re fois encore, cette protection n’est pas envisageable pour toutes les id�es ni dans toutes situations.

Pourtant, l’�volution est r�elle : si le projet de Directive sur " la brevetabilit� des inventions mises en �uvre par ordinateurs " qui doit �tre vot� le 24 septembre 2003, reconna�t un monopole aux auteurs, concepteurs de m�thodes commerciales, des milliers d’entreprises europ�ennes seront d�clar�es contrefaisantes pour utiliser des fonctions informatiques telles que le " One Click Shopping " d’Amazon.

Prot�ger l’id�e � valeur �conomique est dans certains cas (et sous certaines conditions) essentiel � la survie de l’entreprise, mais qu’en est-il de la libre concurrence ? Sera t-on oblig� demain de breveter chacune des fonctionnalit�s d’un site internet au risque de ne pouvoir l’utiliser d�s que notre concurrent en aura le monopole ? Devra t-on demander l’autorisation � Amazon � chaque fois que nous, petite entreprise, d�sirons proposer le " One Click Shopping " alors m�me que nous exploitons cette fonction depuis plus longtemps encore qu’Amazon ?

Auteur
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Pascaline Colombani
Juriste
Notes & Références bibliographiques

[1] Paris, 18 mai 1989, pr�c.

[2] Paris, 18 mai 1989, pr�c.

[3] Paris, 14 mai 1992, D. 1993, Somm. p. 154

[4] Toulouse, 11 septembre 1997, pr�c.,

[5] " Pr�sentation d’une approche renouvel�e de l’agissement parasitaire : le crit�re de la valeur ajout�e substitu� � celui de l’investissement ", Jean-Jacques Frion, Docteur en Droit, Cont. Conc. Cons, juillet 2002, Chron. P. 7 ,

[6] Paris,18 mai 1989, pr�c.

[7] Cass.Com. 26 janvier 1999, D. Aff., n° 154, p.508

[8] Paris, 21 d�c. 1991, PIBD 1991. III.174

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