En France, le prix du livre est encadr�e par la loi Lang qui a pour objectif d’�viter la “best-sellerisation” de l’�dition, de favoriser la cr�ation litt�raire et de maintenir le parc des librairies ind�pendantes en encadrant les prix de d�tail. Tout discount sup�rieur � 5% sur le prix �diteur est interdit dans les deux ans suivant la parution d’un nouveau livre.
Cependant le d�veloppement du commerce �lectronique inqui�te les partisans du prix unique du livre. En effet, ils s’interrogent sur la capacit� de r�sistance d’un dispositif con�u � l’�poque de Gutenberg, le livre-papier.
La caract�ristique premi�re d’Internet est d’�tre un r�seau plan�taire qui offre un contenu accessible ind�pendamment des fronti�res et des l�gislations nationales. Cette caract�ristique est � l’origine de nombreuses remises en cause de la loi Lang. En effet, le prix unique du livre en France est un facteur de distorsion entre des sites qui vendent depuis la France ou depuis l’�tranger. Les internautes sont tent�s de se procurer sur des sites �trangers leurs livres affect�s de r�duction importante.
Il s’agit alors de s’interroger sur la force de la loi du 10 ao�t 1981 et son application � l’Internet pour la commande d’ouvrages sur support papier (A) ou le t�l�chargement d’exemplaires num�riques (B).
Certains auteurs s’inqui�tent de la remise en question, notamment en ce qui concerne les librairies virtuelles, de la loi sur le prix unique dont la n�cessit� avait jusqu’alors b�n�fici� d’un relatif consensus.
A. Le march� des livres-papiers vendus en ligne : un moyen de contourner la l�gislation fran�aise ?
1) Importations de versions livresques propos�es par les sites �trangers
Il convient de rappeler tout d’abord que le prix des livres import�s et non issus de la Communaut� europ�enne doit �tre fix� sur celui du premier importateur de l’ouvrage. Ainsi, la loi sur le prix unique du livre ne s’ applique qu’ aux livres �dit�s ou import�s sur le march� fran�ais ; cela implique donc que les librairies virtuelles importatrices install�es � l’�tranger disposent d’une relative marge de manoeuvre dans la d�termination du prix de livres qu’elles proposent sur le territoire fran�ais.
En effet, dans cette hypoth�se, c’est la loi du pays o� se trouve le site qui s’applique. Cela cr�e une faille non n�gligeable car il suffit qu’un site Internet s’installe dans un pays o� le prix du livre est libre pour b�n�ficier des d�bouch�s du march� fran�ais.
Cette situation est tr�s bien illustr�e par le cas de la librairie belge Proxis qui, d�s 1998, propose des livres �dit�s en trois langues � des prix inf�rieurs, en g�n�ral de 10 � 30%, � ceux de la Hollande et de la France o� des lois pr�voient un prix unique du livre. En effet, dans ce pays il n’ y a pas de r�glementation sur le prix des livres. Les dirigeants de Proxis consid�rent qu’ils ne sont pas tenus de respecter la loi fran�aise, le livre �tant vendu en Belgique. Cependant il convient de pr�ciser le faible impact que ces ventes effectu�es en ligne vers la France r�pr�sentent pour cette soci�t�, seulement 5% de son chiffre d’affaire.
La Soci�t� nationale des �diteurs fran�ais a alors assign� Proxis devant le tribunal correctionnel de Paris, le 17 mars 2000. Il semble que la d�cision rendue le 10 janvier 1985 par la Cour de justice des communaut�s europ�ennes soit applicable � cette esp�ce. En effet, bien avant l’apparition d’Internet, la Cour a eu � se prononcer sur les importations de livres fran�ais. A cette occasion, elle a d�cid� que “celles-ci ne sont pas soumises � la loi Lang m�me si ces ouvrages sont �dit�s en France”, que “seul l’aller-retour des livres ne doit pas �tre virtuel ou seulement fait dans le but de contourner la loi”. Et de pr�ciser que “la commercialisation des livres fran�ais doit aussi avoir lieu dans le pays exportateur et non pas que transiter par lui pour contourner la loi”.
Interrog� sur ce point le minist�re de la culture �nonce : ’”il n’est pas acquis que la loi fran�aise ne s’applique pas au site du pays �metteur du moins � l’int�rieur de l’Union europ�enne”.
En effet, les r�gles de droit international priv� ne sont pas susceptibles de venir mettre en cause l’application de la loi sur le prix unique aux ventes transfrontali�res r�alis�es par les grandes soci�t�s de distribution.
La France, � l’instar de nombreux autres Etats, est signataire de la Convention de la Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes � caract�re international d’objets mobiliers corporels. Cette convention prescrit l’application de la loi du vendeur, sauf si une loi de police y fait obstacle. Il s’agit alors de savoir si la loi Lang est une mesure de police ?
Cette loi mettant en place un syst�me de prix unique du livre dont les abus et contournements sont sanctionn�s par des mesures d’ordre p�nal, appartient � l’ordre public �conomique de direction. Cela signifie qu’elle demeure applicable � toute tentative d’importation de livres sur le territoire fran�ais tant en ce qui concerne les ventes en librairies traditionnelles que celles qui s’effectuent avec le concours des r�seaux �lectroniques.
Le gouvernement fran�ais a d�montr� son d�sir de p�renniser cette l�gislation notamment lors de la pr�sidence fran�aise de l’Union europ�enne en 2000. En effet, il est � l’initiative du colloque relatif � l’�conomie du livre dans l’espace europ�en qui s’est tenu � Strasbourg du 28 au 30 septembre 2000. A �t� d�battu lors de ces s�ances la question d’une loi adapt�e, non seulement � la r�volution num�rique, mais aussi � la n�cessit� que les r�gles en mati�re de prix fixe soient harmonis�es au niveau communautaire.
Cependant les professionnels europ�ens du livre envisagent, plut�t qu’une l�gislation, l’�laboration d’une directive europ�enne tenant compte des syst�mes �tablis dans les pays de l’Union, qui lutterait contre les tentatives de d�tournements comme la r�importation et qui reconnaitrait la pertinence de la zone linguistique comme march� r�el du livre.
2) Le march� fran�ais
Le d�veloppement des librairies virtuelles suscite une appr�hension des librairies traditionnelles fran�aises. Elles exposent des craintes qui sont en partie justifi�es en ce qui concerne le bouleversement des mod�les �conomiques et la comp�titivit� des librairies �trang�res sur le march�. En effet, l’apparition des librairies en ligne induit une modification des standards de qualit� pour l’ensemble de la cha�ne du livre.
Ce nouveau mode de commercialisation du livre r�v�le donc les dysfonctionnements de la fili�re du livre ainsi que les faiblesses des formes existantes.
Les failles du syst�me de la loi Lang sont pleinement exploit�es.
L’�conomie du livre s’en trouve alors modifi�e.
En effet, le succ�s des librairies en ligne entra�ne un effondrement des marges sur l’ensemble du march�, tendance � laquelle les librairies ind�pendantes ne peuvent que difficilement r�sister.
Il convient de remarquer qu’il n’ait plus question d’une �conomie de stocks mais plut�t d’une �conomie de flux tendus. Les librairies en ligne vendent d’abord et s’approvisionnent une fois l’ouvrage command�. Alors que les librairies traditionnelles s’approvisionnent en masse aupr�s de leurs fournisseurs sans savoir � l’avance le nombre d’exemplaires qui seront vendus et s’ils se retrouveront avec des invendus.
Cela provoque un climat de m�fiance de la part des professionnels du livre, version traditionnelle.
D’une part, ils estiment que l’instauration d’un prix unique par la loi Lang est le syst�me le mieux adapt� pour dynamiser et soutenir la cr�ation.
D’autre part, ils s’inqui�tent de la gratuit� de frais de port offerte par certaines librairies en ligne implant�es sur le territoire fran�ais ce qui constitue d�j� un moyen de r�duire le prix et de contourner la loi Lang. Mais pour d’autres et notamment pour Claude Cherki, PDG du Seuil s’exprimant � propos de l’affaire Bourdieu, il s’agit de cr�er autour du livre une animation qui profitera aux libraires, de promouvoir des titres. En effet, le public fran�ais est peu habitu� � acheter sur internet et plut�t que d’acquitter des frais de port, il pr�ferera aller s’approvisionner en librairies traditionnelles.
De plus, les professionnels �voquent qu’ au del� des probl�mes d’ordre �conomique appara�ssent des diffficult�s d’ordre politique et culturel. En effet, l’acheteur peut �tre suivi. Il laisse sur le r�seau une trace de son achat ainsi que ses coordonn�es bancaires.
Cependant cet argument est � relativiser du fait de l’informatisation des administrations, des banques, et surtout de l’action de la CNIL, ( Commission nationale de l’informatique et des libert�s).
Il est aussi � pr�ciser que le comportement des Fran�ais face � l’achat en ligne n’a rien de comparable avec celui des Am�ricains. En effet, en 2000, les librairies en ligne poss�daient 0.7% du march� du livre en France contre 7% aux Etats-Unis. Mais il s’av�re qu’une forte croissance des achats est annonc�e.
Depuis 20 ans le prix du livre est unique quelque soit l’endroit o� il est achet�. En 20 ans cette mesure a permis de pr�server un nombre important de librairies mais aussi de maintenir la diversit� du livre et des contenus �ditoriaux.N�anmoins le niveau du prix du livre a consid�rablement diminu�.
Quoiqu’il en soit les librairies vivent aujourd’hui dans un contexte de concurrence qui ne porte pas sur les prix mais sur la qualit� du service apport� aux lecteurs, situation enviable.
Afin de rassurer les libraires traditionnels, une analogie peut �tre faite avec la vente par correspondance classique. Cette pratique n’a pas boulevers� le march� comme certains s’y attendaient. Il est vrai que les librairies en ligne pr�sentent des sp�cificit�s qui am�nent � penser que le changement sera nettement plus significatif dans le commerce du livre.
3) Opportunit�s offertes par le commerce �l�ctronique aux professionnels du livre
Le site de la Fnac, magasin sp�cialis� dans la vente de biens culturels, fait son entr�e en ligne en juin 1999, apr�s le rachat d’Alibabook. Ce dernier est un des premiers en France, d�s le d�but des ann�es quatre-vingt dix, qui avait d�j� cr�� une base de donn�es bibliographiques importante, outil de travail indispensable pour le libraire afin de connaitre la disponibilit� des ouvrages.
Un de ses principaux concurrents, Amazon, groupe am�ricain pr�sent dans de nombreux pays, s’est implant� en France avec le d�sir de respecter la l�gislation en vigueur sur le prix du livre.
Ces sites au d�part ont pour cible les expatri�s puis ceux qui souffrent de l’isolement notamment en milieu rural o� il n’y a pas forcement de librairies � proximit�. Pour le libraire, le web offre une zone de chalandise quasi illimit�e. Gr�ce au site internet, la librarie peut toucher une client�le �parpill�e aux quatre coins du monde.Cela permet de rendre les biens culturels accessibles � tous o� qu’ils soient situ�s g�ographiquement. Il s’agit dans un sens d’une mesure de d�mocratisation de la culture, id�e ch�re � Andr� Malraux mais que ce dernier a oubli� d’�tendre aux livres.
Le d�veloppement du commerce el�ctronique apparait comme une opportunit� non n�gligeable selon un rapport de la Commission de r�flexion sur le livre num�rique dit rapport Cordier, datant de mai 1999.
Sont mises en avant les principales caract�ristiques du livre qui font que ce produit est tr�s adapt� � ce type de commerce.
Elles sont au nombre de cinq :
- Un grand choix possible pour le client
Plusieurs millions de titres sont disponibles sur le march� mondial du livre. Il est donc impossible de tous les stocker physiquement. Les librairies virtuelles ont donc un avantage sur les librairies traditionnelles. En effet, Amazon propose 3,5 millions d’ouvrages. La diversit� culturelle est loin de dispara�tre comme l’avait craint plusieurs auteurs. D’autant plus que l’auteur d’un premier roman aura plus de chance de parvenir � la diffusion de son ouvrage.
- La non standardisation du produit
Le num�rique permet de segmenter facilement le march�, s’adaptant ainsi en fonction des besoins des diff�rents publics ;en effet, chaque lecteur a ses propres centres d’int�r�t.Les librairies �lectroniques proposent par ailleurs des notices sur les ouvrages, des entretiens avec les auteurs et des forums de discussion entre les lecteurs en plus de leur activit� de vente en ligne.
- La nature physique du produit
Les librairies en ligne offrent les m�mes produits que les librairies classiques : il n’y a aucune diff�rence de nature physique entre tel ou tel livre.
- L’ adaptation aux besoins exprim�s
Ainsi, par exemple, les ach�teurs sur internet,en donnant des renseignements sur leurs go�ts, permettent aux vendeurs, en contrepartie d’une remise ou d’un rabais, de leur offrir des services ou des produits mieux adapt�s � leurs besoins. Gr�ce aux moyens techniques associ�s � Internet, le marketing peut-�tre plus efficace et la connaissance de la client�le plus pr�cise. Cela constitue aussi un moyen de fid�liser des clients.
Il s’agit ici d’une concurrence non pas sur le prix du produit mais sur la qualit� des services propos�s aux clients.
- le rythme de la production
Chaque livre a une dur�e de vie limit�e � l’exception des “classiques”. Il est vrai que de plus en plus les �diteurs se consacrent � l’actualit� et aux nouveaut�s. La vente en ligne, gr�ce au num�rique, permet la circulation d’un nombre de livres plus �lev�. De plus, la librairie virtuelle peut �tre ouverte en permanence. Les contraintes des horaires, du lieu et du temps sont ainsi rendues d�su�tes. On ach�te chez soi quand on veut et sans pression du vendeur.
Le prix du livre en France qu’il soit vendu par une librairie virturelle ou une librairie traditionnelle reste le m�me.
La d�r�gulation de la vente des livres sous forme papier, m�me si elle ne doit concerner que les ouvrages vendus en ligne, n’est pas souhaitable ;en effet, les raisons qui ont conduit � mettre en place le prix unique pour le livre sont �galement valables pour le commerce �lectronique. Les remises sur le prix initial ne concerneraient que les ouvrages � succ�s, c’est-�-dire un nombre limit� de titres au d�triment de l’offre �ditoriale.
Il est alors possible d’envisager le commerce en ligne de livre version papier comme une activit� compl�mentaire, une activit� promotionnelle. En effet, rien de remplacera le plaisir d’aller dans les librairies pour se faire conseiller et feuilleter les ouvrages. De plus, m�me si le commerce en ligne de version livresque permet un acc�s � tout le monde, l’ouvrage n’est en main de l’internaute qu’une fois la livraison effectu�e, alors que l’achat en librairies traditionnelles a l’avantage de le mettre � la disposition imm�diate du client.
Concernant les dispositifs sur le prix unique du livre mis en place dans plusieurs pays europ�ens, ils sont aujourd’hui remis en cause. Cette r�glementation ne s’applique en effet plus qu’aux livres sur papier. Les librairies virtuelles pourraient donc y �chapper. De plus cette r�glementation cr�e des distorsions et incite certains �diteurs � s’implanter dans des paradis num�riques. Cependant, le danger que repr�sente les sites install�s � l’ �tranger est moindre d�s qu’il faut prendre en compte les frais de port. Les distorsions g�n�r�es appellent des r�glementations d’ensemble. Il en va de m�me pour le taux de TVA sur le livre.
B - le t�l�chargement d’exemplaires num�riques. fera prochainement l’objet d’une publication dans cette rubrique.