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CRIMES & DELITS
Les dangers des notifications du Juge d’Instruction
Plaidoyer pour une lecture loyale du Code de Proc�dure P�nale
Publié le mardi 11 mars 2003
Par Guillaume le Foyer de Costil
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S’il est un domaine particuli�rement sensible s’agissant des notifications, c’est bien celui de la proc�dure p�nale, plus particuli�rement lors de la p�riode d’instruction.

Cet article ne se veut pas un catalogue exhaustif des divers moyens utilis�s par le Juge d’Instruction, (et maintenant le Juge des Libert�s et de la D�tention), pour notifier leurs d�cisions aux parties � la proc�dure p�nale.

Il a pour objet d’attirer l’attention sur une particularit� de la proc�dure p�nale, g�n�ralement m�connue des avocats qui ne sont pas familiers de celle-ci, et qui rec�le un v�ritable pi�ge.

On peut s’interroger sur la conformit� des r�gles de proc�dure p�nale qui gouvernent ce domaine aux principes tir�s de la Convention Europ�enne des Droits de l’Homme.

La proc�dure p�nale est modifi�e sans cesse, si la loi la plus importante de la p�riode r�cente remonte au 15 juin 2000, une r�forme plus r�cente est encore intervenue, une autre est en pr�paration ; le sujet qui nous occupe a ainsi �t� profond�ment modifi� successivement par la loi du 30 d�cembre 1985, par celle du 4 janvier 1993, par celle du 24 ao�t 1993, par celle du 15 juin 2000, et comme le soussign� sugg�re une nouvelle r�forme il est s�r qu’elle sera encore modifi�e.

Les dispositions relatives aux notifications des d�cisions du Juge d’Instruction sont fort heureusement regroup�es � l’article 183 du Code de Proc�dure P�nale alors qu’elles auraient pu �tre r�parties dans tous les articles du Code, ce qui pourtant ne facilite pas la lecture puisque les dispositions de l’article pr�cit� proc�dent par renvoi.

On citera celui-ci :

Article 183 du Code de Proc�dure P�nale :

«  Les ordonnances de r�glement sont port�es � la connaissance de la personne mise en examen et du t�moin assist� et les ordonnances de renvoi ou de mise en accusation � la connaissance de la partie civile ; la notification est effectu�e dans les d�lais les plus brefs soit verbalement, avec �margement au dossier de la proc�dure, soit par lettre recommand�e.

Sous r�serve de l’application de l’article 145 1er alin�a, les d�cisions qui sont susceptibles de faire l’objet de voies de recours de la part d’une partie � la proc�dure ou d’un tiers, conform�ment aux articles 99, 186 et 186-1, leur sont notifi�es dans les d�lais les plus brefs soit verbalement, avec �margement au dossier de la proc�dure, soit par lettre recommand�e.

Si la personne mise en examen est d�tenue, elles peuvent �galement �tre port�es � sa connaissance par les soins du chef de l’�tablissement p�nitentiaire qui adresse sans d�lai au Juge d’Instruction l’original ou la copie du r�c�piss� sign� par la personne. Dans tous les cas une copie de l’acte est remise � l’int�ress�.

Toute notification d’acte � une partie par lettre recommand�e exp�di�e � la derni�re adresse d�clar�e par l’int�ress� est r�put�e faite � sa personne.

Les ordonnances mentionn�es aux 1er et 2�me alin�as du pr�sent article doivent �tre port�es � la connaissance des parties, et sont simultan�ment et selon les m�mes modalit�s port�es � la connaissance de leurs avocats.

Les avis destin�s au Procureur de la R�publique lui sont adress�s par tout moyen.

Lorsque le Juge d’Instruction rend une ordonnance non conforme aux r�quisitions du Procureur de la R�publique, avis en est donn� � celui-ci par le greffier.

Dans tous les cas, mention est port�e au dossier par le greffier de la nature et de la date de la diligence faite en application du pr�sent article ainsi que des formes utilis�es ».

Nous sommes en pr�sence d’un texte qui se veut un compromis entre deux exigences antagonistes : le souci de rendre efficace l’action du Juge d’Instruction, con�u plus comme un enqu�teur que comme un arbitre, et celui des droits de la d�fense, sans lesquels il n’est pas de d�mocratie.

Force est de constater que la balance penche beaucoup plus du premier c�t� (ce qui s’explique sans doute par le constat du l�gislateur que les personnes qui ont � faire au Juge d’Instruction sont g�n�ralement de v�ritables d�linquants et qu’il serait d�s lors choquant de leur donner trop de droits).

Le catalogue des moyens mis � la disposition du Juge d’Instruction pour porter � la connaissance des parties des d�cisions qu’il prend (1) montre que les auteurs des textes proc�duraux r�glementaires ont �t� fortement influenc�s par un souci r�pressif.

Mais la jurisprudence d’application, que nul ne remet apparemment en cause, tend de v�ritables pi�ges aux parties et m�me � leurs conseils (2).

1 - Les moyens de notification en mati�re p�nale ne sont pas de nature � informer compl�tement les parties sur leurs droits :

Le Juge d’Instruction a � sa disposition la possibilit� de notifier ses ordonnances tant � la personne mise en examen qu’au t�moin assist� « verbalement, avec �margement au dossier de la proc�dure ou par lettre recommand�e ».

Le l�gislateur a tout de m�me pr�vu la possibilit� d’une notification pour les personnes d�tenues « par les soins du chef de l’�tablissement p�nitentiaire contre r�c�piss� sign� ».

Ce n’est que depuis 1993 qu’une copie de l’acte concern� est remise aux int�ress�s.

Ces moyens de notification, s’agissant surtout de la lettre recommand�e, sont extr�mement peu efficaces au regard de la gravit� des informations port�es � la connaissance des personnes en cause.

S’il est difficile de critiquer la notification verbale qui est faite aux parties dans les cas pr�vus par le 1er alin�a de l’article 183 du Code de Proc�dure P�nale (ordonnances de r�glement et ordonnance de renvoi), on regrettera que seules les d�cisions pouvant faire l’objet de voies de recours (les ordonnances de renvoi ne font pas partie de cette cat�gorie) ne comportent pas l’exigence d’une remise de la copie de l’acte.

S’agissant de la lettre recommand�e, ce moyen para�t particuli�rement l�ger au regard de la gravit� des actes qu’elle notifie et on verra (infra) que la jurisprudence a aggrav� l’inefficacit� de ce moyen de notification.

En effet, s’il n’est pas discutable que les postes fran�aises sont une administration g�r�e avec rigueur, il arrive que ses pr�pos�s ne fassent pas montre de la diligence n�cessaire pour retrouver les destinataires des courriers recommand�s, se bornant la plupart du temps, lorsqu’ils sont absents, � d�poser une feuille volante dans une bo�te aux lettres qui invite l’int�ress� � se rendre � un bureau de poste dans les quinze jours, s’il en a le temps.

Et lorsque le justiciable prend connaissance du document, le d�lai de recours est g�n�ralement expir�.

Et l’on sait que les « clients » des Juges d’Instruction ne sont pas le plus souvent diligents, attentifs, soigneux et aptes � g�rer la documentation administrative et judiciaire.

Fort heureusement, les dispositions du 4�me alin�a de l’article 183 pr�voient une notification aux avocats par lettre recommand�e ; mais toute personne mise en examen n’a pas n�cessairement un avocat.

Or le d�lai de recours, g�n�ralement l’appel des ordonnances du Juge d’Instruction, est particuli�rement court puisque l’article 185 du Code de Proc�dure P�nale pr�voit qu’il doit �tre form�, par d�claration au greffe du Tribunal, dans les 10 jours qui suivent la notification de la d�cision.

Le pr�sent expos� ne porte pas sur la proc�dure devant la Chambre de l’Instruction, juridiction d’appel des d�cisions du Juge d’Instruction, qui dialogue essentiellement avec les avocats plus qu’avec leurs clients, mais on pourrait lui faire les m�mes griefs.

2 - La situation in�quitable ainsi d�nonc�e se trouve aggrav�e par une jurisprudence �tablie :

Les dispositions de l’article 185 sont explicites mais ne d�finissent pas exactement ce que l’on doit entendre par « notification de la d�cision ».

Or la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation dans une jurisprudence maintenant constante, qui remonte notamment au 12 janvier 1988 (Crim 12 janvier 1988, Bull crim n° 12) �nonce de fa�on souveraine « la notification que pr�voit l’article 183 est r�alis�e par l’exp�dition de la lettre recommand�e ».

Ce qui signifie tr�s clairement que, contrairement � l’usage constat� dans les autres proc�dures, notamment en mati�re prud’homale o� un d�lai d’appel ne court qu’� compter de la r�ception d’une lettre recommand�e, ce n’est pas la premi�re pr�sentation de cette lettre par l’administration postale qui le fait courir (solution d�j� s�v�re puisque la personne qui re�oit cette lettre peut mettre 15 jours � aller en prendre connaissance, soit un d�lai sup�rieur au d�lai d’appel lui-m�me). Le moment retenu pour constituer le point de d�part du d�lai d’appel de 10 jours est celui o� le greffier remet la lettre recommand�e contenant notification � l’administration postale.

Lorsqu’on sait que le fonctionnement de cette administration est parfois perturb� par des mouvements sociaux ou par les divers al�as que g�n�re le transport d’un lieu � un autre d’un objet aussi l�ger et insignifiant qu’une lettre, on voit qu’en r�alit� la jurisprudence a mis en �uvre un m�canisme destin� � limiter au maximum la recevabilit� des voies de recours.

Certains Juges d’Instruction ont l’honn�tet�, dans les notifications auxquelles ils proc�dent, d’indiquer la date effective du point de d�part du d�lai mais celui-ci ne figure avec certitude que sur l’enveloppe contenant le document que le destinataire peut avoir l�gitimement jet� avant de consulter son conseil ou de se rendre au greffe.

De telle sorte que dans tous les cas, il y a de fortes chances pour que le d�lai soit expir� lorsque la personne aura d�cid� d’inscrire le recours, imaginant, de bonne foi, que celui-ci a couru comme dans la plupart des domaines administratifs (fiscaux, ou en mati�re de prestations sociales etc) � compter de la r�ception, ou au moins de la premi�re pr�sentation de la lettre recommand�e.

Il est �tonnant que cette r�gle particuli�rement s�v�re et qui constitue � l’�vidence un pi�ge, m�me pour les conseils si ceux-ci sont peu exp�riment�s en mati�re p�nale, n’ait jamais �t� d�nonc�e, alors qu’� l’�vidence elle porte atteinte � la bonne foi.

On peut m�me s’interroger sur la conformit� d’une telle jurisprudence aux dispositions de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libert�s Fondamentales qui fait partie du droit positif fran�ais.

Plus pr�cis�ment, on peut se demander si de telles pratiques ont le caract�re �quitable exig� par l’article 6 de ce texte et plus sp�cialement encore, � l’exigence que tout accus� � droit notamment � « disposer du temps et des facilit�s n�cessaires � la pr�paration de sa d�fense ».

Sans doute sera-t-il r�pondu que la phase de l’instruction n’est que pr�paratoire et que d�s lors que les garanties exig�es par la Convention existent dans la phase de jugement (citation par huissier, d�lai d’appel courant � compter du prononc� du jugement etc).

Il reste aux praticiens du droit p�nal � �tre particuli�rement attentifs, leur responsabilit� �tant susceptible d’�tre engag�e, � l’existence de cette jurisprudence que le droit positif n’a jamais os� reprendre explicitement.

Il leur appartient aussi, et c’est l’objet de mon article, de faire pression sur l’autorit� pour que des dispositions aussi iniques fassent l’objet d’une interpr�tation diff�rente de la part de magistrats � l’esprit moderne et qui ne s’abritent pas derri�re le manque de moyens pour justifier un souci d’efficacit�.

Auteur
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Guillaume le Foyer de Costil
Avocat au barreau de Paris

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