La diffusion publique des progr�s technologiques n’est pas forc�ment synonyme de prosp�rit� �conomique. Dans un paysage �conomique, plus �lectronique que jamais, les majors s’indignent de la g�n�ralisation du t�l�chargement illicite en ligne, facilit�e par le " peer-to-peer ".
Le " peer-to-peer " d�signe le partage de fichiers, audio, vid�o ou autres, sur le net, � partir de logiciels sp�cifiques. Cette pratique fut introduite via le d�funt Napster - ou tout du moins sa version non commerciale - dont la neutralisation n’a pas, comme escompt�, �limin� ce type de pratique.
Au contraire, l’�viction de Napster a permis l’�mergence de nouveaux logiciels tels que KaZaA ou encore Emule, dont les architectures techniques, contrairement � leur a�n�, apparaissent aujourd’hui juridiquement in�branlables.
Il s’av�re difficile dans un tel contexte de s’en prendre directement aux cr�ateurs d’un logiciel qui ne peut pas �tre consid�r� comme ill�gal, mais dont l’utilisation peut �tre d�tourn�e au profit de pratiques illicites, au m�pris des droits d’auteur . L’industrie de la production des biens culturels (phonographiques, cin�matographiques et logiciels) a donc naturellement chang� de strat�gie et attaque d�sormais les usagers du syst�me, dont l’acc�s est facilit� par des connexions � haut d�bit de plus en plus rapides et de plus en plus abordables, aussi bien g�ographiquement qu’�conomiquement.
Voyant leurs ventes diminuer sensiblement[1], les majors s’engagent de plus en plus dans une strat�gie proc�durale, la derni�re vague de poursuites juridiques, en France, ayant eu lieu le 22 octobre 2004[2].
Ces actions en justice ont des cons�quences multiples. Si elles parviennent effectivement � dissuader certains usagers de t�l�charger en ligne de mani�re ill�gale, elles ont �galement abouti � la mobilisation d’une partie de la communaut� internaute choqu�e par des pratiques dont la port�e leur para�t plus symbolique qu’efficace.
L’industrie culturelle a ainsi affaire non plus uniquement aux partageurs de fichiers en ligne mais �galement � d’autres internautes qui voient en ces actions en justice une solution d�mesur�e, incompatible avec leur id�al du r�seau des r�seaux.
Les poursuites p�nales ne constituent pas l’unique solution � l’�radication du t�l�chargement ill�gal en ligne.
Deux documents publi�s au d�but de l’ann�e 2004[3] sugg�rent qu’il est envisageable de limiter le t�l�chargement abusif non pas par r�pression, mais en limitant techniquement le partage des fichiers en ligne.
C’est dans cette optique que les auteurs de ces deux documents mettent en avant la possibilit� de restreindre le taux d’�mission des connexions � haut d�bit, en instaurant une taxe sur l’upload. Cette contrainte rendrait de fait la mise en partage de fichiers �lectroniques moins s�duisante, puisque plus ch�re, et inciterait, selon les auteurs, les internautes � acqu�rir l�galement le bien d�sir�, que cela soit sous sa forme num�rique ou sous sa forme physique.
Cette annonce de loi potentielle n’a pas �t� sans susciter de vives r�actions. Plus particuli�rement, son application ne serait pas cibl�e mais universelle et ce, peu importe la nature des fichiers �chang�s, prot�g�s par un droit de propri�t� ou pas.
Dans un tel cas de figure, ce serait la totalit� de la population internaute qui devrait supporter la taxe. Moins fondamentalement, des questions d’ordre pratique se posent aussi quant au b�n�ficiaire de cette taxe : qui la r�coltera et dans quelles proportions ?
Techniquement, il para�t �vident que les majors victimes du t�l�chargement ill�gal devraient b�n�ficier d’une partie des recettes issues de la taxe sur le taux d’�mission tout comme les fournisseurs d’acc�s, qui en assureraient l’application en l’int�grant dans leur tarification aupr�s de l’internaute abonn�. Il conviendra alors de tenir compte, dans ces conditions, de l’ensemble des agents b�n�ficiaires d’une partie des recettes issues de la taxe.
Tout reste donc encore � d�finir et l’amplitude universelle de l’application de la taxe sur le taux d’�mission suscite l’interrogation sur la l�gitimit� m�me de cette mesure destin�e � enrayer l’adoption du " peer-to-peer ".
Le t�l�chargement en ligne est ainsi accus� de r�duire les chiffres d’affaires et les ventes des biens culturels. Toutefois, les r�sultats d’�tudes �conomiques quant � l’impact du t�l�chargement illicite sur les ventes des grands acteurs de l’industrie culturelle ne permettent pas d’�tablir des conclusions pr�cises sur l’effet (a priori n�gatif) du " peer-to-peer ".
Au contraire, plusieurs auteurs[4] indiquent que, en fonction de la nature du bien t�l�charg�, son utilisation par un internaute qui n’aurait pas, de toute �vidence, achet� le bien �quivalent peut �tre b�n�fique non seulement pour les usagers de ce bien mais �galement pour les majors, qui verraient leurs productions devenir populaires par un effet global d’adoption.
Le t�l�chargement ill�gal n’est donc pas forc�ment la menace premi�re point�e du doigt par l’industrie de la production des biens culturels et les mesures mises en place ou sur le point de le devenir ne semblent pas en ce sens totalement l�gitimes.
Au contraire, les politiques employ�es par les majors t�moignent de leurs difficult�s actuelles � s’adapter au nouveau mod�le �conomique que propose Internet, o� les attentes des usagers ne sont pas toujours les m�mes que celles formul�es par leurs homologues sur le march� traditionnel.
Face � un march� en pleine dynamique et en croissance perp�tuelle, o� la notion de droit de propri�t� est sans doute � red�finir, les industriels de la production de biens culturels devront proposer une offre en accord avec les attentes d’internautes devenus aujourd’hui consommateurs.
Les producteurs en sont conscients et le d�veloppement des plates-formes payantes de t�l�chargement de fichiers musicaux (iTunes, le centre de t�l�chargement d’Apple, dont les titres sont exclusivement compatibles avec son baladeur mp3 iPod, ou encore Sony Connect, son homologue chez Sony, compatible exclusivement avec son baladeur de la m�me marque en format propri�taire atrac) prouve leur volont� d’adaptation.
Cependant, les probl�mes d’incompatibilit� actuelle avec les diff�rents terminaux musicaux et les formats audio disponibles sur les plates-formes payantes t�moignent encore des efforts � fournir.
Plus qu’un probl�me dont la cause est une utilisation d�tourn�e d’un service l�gal offert par Internet, les questions soulev�es par le t�l�chargement ill�gal en ligne mettent en avant aujourd’hui les difficult�s des majors � s’int�grer �conomiquement dans le paysage �lectronique avec harmonie, sans pour autant qu’une rupture avec le canal traditionnel de distribution soit forc�ment n�cessaire.
Une strat�gie d’offre plus souple para�t ainsi requise pour s’adapter � la demande sp�cifique des internautes, au-del� des strat�gies conservatrices mises en oeuvre jusqu’� pr�sent.
THOMAS LETEXIER
GREDEG/CNRS
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[1] Pour exemple, notons que les ventes de CD, en chiffre d’affaires, chutent violemment depuis 2001 (+10% en 2001 vers +4% en 2002 puis -16% en 2003), source INSEE.
[2] Au 28 octobre 2004.
[3] CERNA [2004], “Distribution de contenus sur Internet : Analyse �conomique des rem�des au contournement des droits de propri�t� intellectuelle”, (auteurs : Olivier Bomsel et Gilles Le Blanc), Note de travail Contango, 8 mars 2004. CERNA [2004], “Enjeux �conomiques de la distribution des contenus”, (auteur : Olivier Bomsel avec la collaboration de J�r�mie Charbonnel, Gilles Le Blanc et Abakar Zakaria), Etude Riam-Contango, janvier 2004.
[4] Parmi lesquels Conner et Rumelt :
Conner K. et R. Rumelt [1991], “Software piracy : an analysis of protection strategies”, Management Science, vol. 37, issue 2, pp. 125-139.