Un nouveau Palais de Justice doit �tre construit � Paris, annon�ait le Garde des Sceaux, dans un communiqu� le 23 juin 2004, " pour faciliter l’acc�s des justiciables � la justice et se donner les moyens d’un accueil digne de ce nom, favoriser les droits de la d�fense pour am�lioration des conditions de travail des avocats et enfin renforcer la s�curit� parfois d�faillante (...) ".
Ce vaste programme auquel il convient d’ajouter naturellement le fait de " permettre aux magistrats et aux fonctionnaires de conduire dans les meilleures conditions leurs missions essentielles " est un vaste projet qui concerne le symbole m�me de la justice, son palais, le lieu o� elle est rendue.
Tout est symbole, on le sait, mais encore faut-il que celui-ci incarne quelque r�alit�, en l’esp�ce le lieu de la justice est indissociable de son exercice, il lui emprunte sa majest�, les attributs d’un pouvoir r�galien exerc� au nom de la force de la loi, expression de la volont� g�n�rale.
La justice s’accommode mal des pr�fabriqu�s (comme � Toulouse), des cit�s judiciaires vou�es aux infiltrations de la nappe phr�atique (comme � Nancy), elle se plie mal aux extravagances architecturales (comme � Bordeaux), elle a horreur du vide m�me s’il s’agit du vide de la beaut� (comme � Grasse), elle vit mal les pr�occupations s�curitaires (comme � Grenoble).
Un Palais de Justice ne se construit pas comme un h�pital, une prison ou une pr�fecture, sa vocation n’est pas de g�rer des flux de population, il s’agit de mat�rialiser dans l’espace la fonction sans doute la plus importante de l’Etat moderne : rendre, au nom du Droit, � chacun son d�.
Faut-il alors caler le Palais de Justice entre le boulevard p�riph�rique, une usine d’incin�ration d’ordures m�nag�res et une voie ferr�e comme � la ZAC Mass�na, � 800 m�tres de la premi�re station de m�tro ?
Faut-il l’implanter sur la dalle dominant la gare d’Austerlitz, au risque d’exposer ceux qui y travaillent � de graves probl�mes de s�curit� ?
Faut-il le placer derri�re la Grande Biblioth�que � moiti� sur l’emprise ferroviaire ?
Est-ce bien l� le symbole d’une justice moderne r�g�n�r�e et sereine au c�ur de la ville ?
Je ne le crois pas.
Nous ne sommes pas une ville nouvelle o� institutions et �difices sortent du n�ant, notre Ville est charg�e d’histoire, elle est li�e � la justice en un pacte qui a fait de la Cit� le Palais des Rois, puis lorsqu’ils en sont partis, le Palais des Juges : l’identit� ne se construit pas sur la vacuit�, regardez les capitales europ�ennes, pas une qui n’ait conserv� son Palais en son centre.
Bien plus, il y a lieu d’�tre inquiet sur la conception qui pr�sidera � la construction de l’�difice, quel que soit sa future localisation. Trop souvent les nouveaux Palais de Justice, au nom de la s�curit� et d’une gestion technocratique, s�parent d�sormais, dans des espaces r�serv�s, les diff�rents acteurs du processus judiciaire.
Ainsi, les magistrats �volueront-ils dans des zones badg�es �lectroniquement o� n’auront acc�s les avocats et les justiciables qu’� la condition d’avoir pris pr�alablement rendez-vous avec leurs interlocuteurs : s�curit� et contr�le sont � ce prix...
Qu’en sera t-il alors de l’acc�s de tous � un juge tel qu’il est garanti par l’article 13 de la Convention Europ�enne des Droits de l’Hommes et des Libert�s Fondamentales ?
Que dire de la communication n�cessaire entre les personnes d�tenues au Palais de Justice et leurs conseils alors que l’on sait que c’est aujourd’hui la culture de l’hygiaphone et de la vitre blind�e qui se r�pand dans les nouvelles salles d’audience ?
Il s’agit d’un vaste mouvement de d�fiance envers la d�fense qui n’est que la continuation des orientations l�gislatives des derni�res ann�es que le texte PERBEN II est venu parachever (provisoirement dit-on).
Aussi n’est-il pas �tonnant que, sous le pr�texte d’un meilleur accueil au public, on repousse d’autant plus un objet institutionnel du c�ur de la ville, dans des espaces nouveaux mais sans �me : la machine � g�rer les stocks d’affaires peut bien s’installer sur d’anciens entrep�ts.
On ne construit pas non plus un Palais de Justice pour d�sengorger un trop plein du r�servoir des affaires : il faut voir plus loin, on b�tit pour un si�cle, du moins faut-il le souhaiter.
La conception de l’�difice ne peut �tre abord�e sans une r�flexion d’ensemble sur la modernit� de la fonction du juger : d�mat�rialisation des proc�dures, les nouvelles conceptions de la voie d’appel, l’interactivit� de la fonction de juger et de d�fendre, la place des avocats, l’articulation avec la m�diation, la rapidit� d’effectivit� de l’ex�cution des jugements, le probl�me de l’ex�cution provisoire, autant de chantiers intellectuels indissociables de la construction elle-m�me.
Il faut donc un projet ambitieux, c’est-�-dire des moyens : la repr�sentation nationale est elle pr�te � les donner ? On pourrait en douter lorsque l’on voit la Ville et l’Etat se d�chirer sur le prix des terrains. Ne peut-on pas, pour une fois, donner � la justice les cr�dits n�cessaires et prendre le temps de la r�flexion. Or, ce n’est pas le chemin que l’on prend, la route s’en va butant sur les pr�occupations de gagne-petit.
Il n’est m�me plus question de rassembler dans le m�me Palais de Justice la totalit� des juridictions parisiennes puisque d�s aujourd’hui il ne s’agit que du transfert du Tribunal de Grande Instance, laissant la Cour d’Appel et la Cour de Cassation dans l’�le de la cit� avec le Tribunal de Commerce, pi�tre consid�ration pour ceux qui ont la charge de d�fendre et dont l’activit� judiciaire est particuli�rement importante.
A-t-on song� � la gestion du temps judiciaire, au co�t du d�mant�lement du Palais de Justice, de la s�paration des juridictions de premi�re instance et d’appel, aux difficult�s de transport et � l’�parpillement entre les divers sites de la justice dans Paris. Faut-il vraiment rajouter des obstacles suppl�mentaires ?
A t-on consult� les Parisiens ?
A t-on consult� les acteurs du monde judiciaire ?
Jamais.
L’�tablissement public du Palais de Justice de Paris est dot� d’un conseil d’administration compos� de sept membres de droit, parmi lesquels quatre appartiennent � la Chancellerie, un seul avocat, le B�tonnier Paul-Albert IWEINS fait partie de cette instance. Il n’est charg� que de d�cider dans le cadre des orientations g�n�rales fix�es par le Garde des Sceaux.
Son comit� d’orientation ne comprend que deux repr�sentants du Barreau sur ses 26 membres : belle image de l’exacte consid�ration dans laquelle les pouvoirs publics tiennent la d�fense, belle pr�figuration de l’institution d’un urbanisme judiciaire technocratique tout entier dirig� vers le rendement, la liquidation des stocks d’affaires et les bonnes statistiques.
La concertation, la consultation sont indispensables pour la cr�ation d’un v�cu, d’une adh�sion de la population � son Palais de Justice. Elles doivent permettre de rechercher une implantation digne et satisfaisante au c�ur de la Ville.