Depuis 1995, ann�e pr�sent�e comme celle de la vulgarisation de l’internet [1] il ne fait plus aucun doute que cet espace est devenu un nouveau canal de distribution commerciale.
Afin de saisir l’ampleur prise par le ph�nom�ne, il suffit de s’arr�ter sur les derni�res donn�es chiffr�es relatives � l’internet. Au premier trimestre 2004, la population internaute fran�aise a franchi la barre des 23 millions. D�sormais 56% des requ�tes sur les moteurs de recherche sont de nature commerciale et le nombre d’acheteurs en ligne, qui �tait de 8,7 millions fin mars 2003, a cr� de 38% en un an, alors que dans le m�me temps, le nombre d’internautes n’a progress� que de 11%.
Aujourd’hui, il existe deux cat�gories de site internet, les sites dits " informationnels " � des fins de communication d’informations de toutes nature et les sites dits " marchands " ayant pour but de commercer sur le r�seau. Etant de v�ritables " boutiques virtuelles " permettant de fid�liser la client�le mais �galement de prospecter de nouveaux march�s, seuls ces derniers seront �tudi�s. L’internet pr�sente la double potentialit� pour les entreprises d’accro�tre leur client�le en limitant leur frais de communication et, comme ce fut le cas pour les ann�es pr�c�dentes [2], la plupart des marchands �lectroniques ont enregistr� des croissances � deux chiffres pour le premier trimestre 2004.
La dimension prise par le commerce �lectronique s’explique � la fois par la baisse des prix du mat�riel informatique, l’am�lioration du taux de couverture de la connexion haut d�bit, l’augmentation du nombre de connect�s au haut d�bit, la confiance accrue des cyber-consommateurs vis-�-vis de l’achat en ligne, notamment avec le d�veloppement de la cryptologie, ainsi que les prix des produits plus avantageux. Le d�veloppement de l’internet a suscit� et continue d’alimenter chez les juristes, r�flexions et questions, souvent de grande port�e pratique. En parall�le aux activit�s mat�rielles, l’internet a cr�e un espace virtuel dans lequel s’est d�velopp� l’ensemble " des activit�s terrestres ". Aujourd’hui, les questions que se posent les commer�ants sont relatives � leur exploitation d�mat�rialis�e. Qu’attendent aujourd’hui les consommateurs internautes ? Comment construire une strat�gie-client qui leur convienne ? Comment, en particulier, d�gager des informations pertinentes des quantit�s de donn�es recueillies chaque jour ?
Comment assurer une coh�rence entre les diff�rents canaux de sollicitation de sa client�le ?
Si pour certains auteurs, le droit de l’internet n’est qu’une d�clinaison de la propri�t� intellectuelle, il nous semble que le Droit se doit de l’appr�hender dans toutes ses branches. Ainsi la question m�rite d’�tre pos�e, peut-on transposer au commerce �lectronique les r�gles relatives � la client�le et au bail commercial alors qu’elles ont �t� �dict�es et interpr�t�es pour un contexte mat�riel ? En d’autres termes, le cyber-commer�ant dispose t il d’un fonds de commerce ? Peut-il b�n�ficier de la l�gislation relative aux baux commerciaux ? Afin de r�pondre � la seconde question il est n�cessaire de solutionner la premi�re.
A notre connaissance, aucun tribunal n’a eu l’occasion de se prononcer en la mati�re, et il n’existe aucun cadre l�gal r�gissant l’universalit� qu’est le site internet [3]
Il nous semble que l’internet constitue simplement un nouveau canal de distribution, de sorte que l’ensemble des solutions classiques trouve pleinement � s’appliquer dans ce contexte novateur. En effet, ainsi que le constate monsieur le Professeur Leveneur [4] le droit ne s’adapte aux faits qu’avec plus ou moins de retard ".
I - Plaidoyer en faveur de l’octroi d’une client�le dans le contexte novateur de l’internet
Afin d’attribuer au cyber-commer�ant la propri�t� d’un fonds de commerce �lectronique, il est n�cessaire de v�rifier l’existence d’une client�le puis de d�terminer si elle est personnelle ou propre au cyber-exploitant.
L’existence de la client�le ne fait aucun doute et sa preuve peut �tre rapport�e avec d’avantage de facilit�s et de pr�cisions que dans les activit�s terrestres. En effet, en pratique, tout site marchand dispose d’un site de statistique comptabilisant l’ensemble des cyber clients potentiels ayant visit� la boutique virtuelle [5] ainsi que d’un site de gestion permettant de d�terminer avec pr�cision l’ensemble des cyber clients.
S’agissant du caract�re personnel de la client�le, avec la doctrine particuli�rement autoris�e en la mati�re, il nous semble qu’elle ne souffre d’aucune contestation. Le dernier �tat de la jurisprudence [6] de la Cour de cassation, d�terminant la propri�t� de la client�le par r�f�rence aux crit�res �conomiques, peut valablement �tre transpos� � l’hypoth�se du fonds de commerce �lectronique.
En effet, les entreprises proc�dent � des investissements consid�rables afin de disposer d’un site internet comp�titif et consacrent un important budget � sa maintenance ainsi qu’� son actualisation. Les risques assum�s par les cyber-commer�ants devraient, par analogie avec la solution d�sormais applicable aux commer�ants int�gr�s, inciter les juges � leur reconna�tre l’existence d’une client�le propre.
D’autre part, dans la majorit� des hypoth�ses, les entreprises qui exploitent un site marchand existaient mat�riellement avant de d�velopper le canal de distribution qu’est l’internet. La compl�mentarit� entre site physique et site �lectronique appara�t aujourd’hui incontournable et, on peut consid�rer le site internet comme le prolongement de l’entreprise mat�rielle pour laquelle elle pouvait d�j� compter une client�le. Aussi, il serait incoh�rent de refuser au cyber-commercant une client�le personnelle alors que le cyber client a appris l’existence de la " boutique virtuelle " en connaissant " la boutique mat�rielle ".
De plus, une analogie peut �tre utilement r�alis�e entre les entreprises sp�cialistes de la vente par correspondance et les entreprises d�veloppant la solution de l’internet. Alors que les premi�res utilisent " un catalogue r�el ", les secondes illustrent " leur catalogue virtuel " au moyen de pages internets. Dans les deux types de commerce � distance, les commandes de produits ou de services peuvent �tre r�alis�es par t�l�phone ou par l’envoi d’un bon de commande. Or, s’il ne fait aucun doute que les entreprises de ventes par correspondance disposent d’une client�le propre, comment la refuser aux entreprise exploitant un site internet sans tomber dans la contradiction ?
De m�me, l’entreprise qui vend ses produits sur l’internet ne se trouve pas, vis-�-vis de son fournisseur d’acc�s, dans une position de d�pendance comparable � celle du cafetier du champ de courses. En effet, si les consommateurs ne peuvent se rendre � la buvette sans passer par le champ de courses, le site internet demeure accessible quel que soit le fournisseur d’acc�s. En revanche, lorsqu’un seul fournisseur d’acc�s est en mesure de proc�der � la connexion, l’entreprise op�rant dans ces conditions sur l’internet est plac�e dans une situation de d�pendance.
Pour autant, il ne nous semble pas devoir d�nier une client�le personnelle au cyber-commercant. Outre la r�f�rence aux crit�res �conomiques, le site d’une telle entreprise pr�sente des sp�cificit�s distinctes de celles de son fournisseur d’acc�s, ce qui permet de diff�rencier la client�le de la premi�re de celle du second.
Enfin, la simple coh�rence permet de conclure � l’existence d’une client�le " propre et personnelle " et par rebond d’un fonds de commerce �lectronique au b�n�fice du cyber-commer�ant. En effet, la jurisprudence peut-elle d�cemment prendre le contre-pied des instances communautaires [7] et nationales [8] qui ont pour objectif clairement affich� de stimuler la croissance du commerce �lectronique ?
Or, comment atteindre cet objectif sans reconna�tre l’existence du fonds �lectronique ? De plus, il est �conomiquement plus juste qu’un entrepreneur se voit reconna�tre la client�le fruit de ses efforts et investissements. A quoi bon pour le commer�ant exploiter un site internet s’il ne peut pr�tendre � l’existence d’une client�le et s’il ne peut utiliser son fonds de commerce �lectronique comme instrument de cr�dit ou le c�der. Comment d�cemment refuser aux entreprises qui ont " pignon sur Web [9] et qui g�n�rent un chiffre d’affaires tr�s important, la propri�t� d’une client�le qui leur soit propre ?
La n�cessit� de reconna�tre au cyber-commer�ant la propri�t� d’un fonds de commerce �lectronique n’est pas sans rappeler les dol�ances des commer�ants du XIX�me si�cle, qui avaient donn� lieu � l’adoption de la loi du 17 mars 1909 relative � la vente et au nantissement du fonds de commerce. Pour l’heure, aucun projet ou proposition de loi en ce sens ne sont � l’ordre du jour, laissant ainsi place � l’interpr�tation des juristes et des magistrats.
Historiquement, le bail commercial et le fonds de commerce ont des sources communes et sont unis par des liens �troits. Ainsi, la reconnaissance d’une client�le propre au profit du cyber-entrepreneur n’a-t-elle pas pour corollaire l’octroi du b�n�fice du statut des baux commerciaux afin d’assurer la stabilit� du fonds de commerce �lectronique ?
II - La reconnaissance d’un bail commercial �lectronique
En mati�re de client�le et de bail commercial, les oppositions doctrinales sont nombreuses et la jurisprudence est empreinte de casuistique. La cons�quence en est une v�ritable ins�curit� juridique pour le commer�ant notamment quant � l’importante question pratique du b�n�fice du statut des baux commerciaux. Si les difficult�s relatives au bail commercial ont pour origine les incertitudes aff�rentes � la client�le, r�sultant notamment du d�veloppement de nouveaux modes de distribution, aujourd’hui, la place prise par le commerce �lectronique oblige � un effort d’interpr�tation afin que la client�le s’adapte � cet environnement d�mat�rialis�, mais �galement de cr�ation pour que le b�n�fice d’un bail commercial soit reconnu au cyber-commer�ant.
Monsieur Levis [10] est perplexe quant � l’opportunit� de reconna�tre le b�n�fice du statut des baux commerciaux au cyber-entrepreneur. Au contraire, il nous semble que la reconnaissance d’un bail commercial est n�cessaire afin d’assurer la stabilit�, la p�rennit� et la valeur du fonds de commerce �lectronique. La lettre, mais �galement l’esprit du d�cret de 1953 visent � pr�server les exploitants de fonds de commerce contre les abus des bailleurs et de faire en sorte que l’exploitation commerciale ne soit pas mise en p�ril par une d�cision de r�siliation brutale ou par une augmentation brusque du loyer. Le fondement du bail commercial, � savoir la sauvegarde du fonds de commerce, doit guider le juriste, que l’exploitation soit mat�rielle ou non.
Afin de d�terminer si le cyber-commer�ant peut �tre titulaire d’un bail commercial dans l’exercice de son exploitation virtuelle, il s’agit de v�rifier que les conditions n�cessaires au b�n�fice du statut des baux commerciaux sont r�unies. Si, conform�ment � l’article L 145-1 du Code de commerce, les exigences relatives � l’existence d’un bail, via la signature d’un contrat de location [11], � l’immatriculation [12] au registre du commerce et des soci�t�s ainsi qu’� l’exploitation d’un fonds de commerce ne semblent faire aucune difficult�, en revanche, la condition relative au local semble plus probl�matique. Pourtant, cette condition, propre au commerce terrestre ne nous semble pas r�dhibitoire pour priver le commer�ant �lectronique d’un bail commercial.
Ainsi que le rel�ve le professeur Mon�ger avec le d�veloppement du fonds de commerce �lectronique, " il n’y a plus de local o� le commer�ant peut recevoir physiquement le client ", et le nom de domaine se substitue � la " bonne adresse ". En effet, l’objet m�me du commerce �lectronique est de s’abstraire de toute mat�rialisation ce qui rend impossible l’approche g�ographique traditionnelle. En cons�quence, sur l’internet, la localisation au sens " terrestre " du terme n’a plus de sens. La notion de local [13], consid�r� comme un espace clos et couvert � l’int�rieur duquel l’homme peut avoir acc�s et visant � recevoir la client�le de fa�on continue afin de la fid�liser, doit faire l’objet d’une adaptation au monde virtuel, eu �gard non pas � la lettre mais � la philosophie du statut des baux commerciaux. A d�faut d’intervention l�gislative, la m�thode ch�re � Raymond Salleilles doit �tre adopt�e. Il s’agit de " lire la loi au regard des exigences de la modernit�, ici �conomique " [14], et de raisonner par un syllogisme r�gressif afin d’identifier l’�l�ment pouvant �tre qualifi� de " local virtuel ", unique condition faisant d�faut pour permettre au cyber-entrepreneur de b�n�ficier du statut des baux commerciaux.
Le site internet est h�berg� par un prestataire de service qui met � la disposition du cyber-commer�ant un espace virtuel sur son disque dur. La localisation de cet espace de stockage peut �tre diff�rent, ce qui suffit � exclure sa qualification de local. Surtout, il est possible de changer d’h�bergeur, sans que l’accessibilit� au site internet en p�tisse. En cons�quence, le contrat d’h�bergement ne peut �tre identifi� au local virtuel puisqu’il ne permet pas d’assurer la stabilit� de la boutique virtuelle.
En revanche, par analogie � l’adresse du local mat�riel � laquelle il faut se rendre pour acc�der au local commercial, le nom de domaine est l’adresse permettant aux cyber-clients d’identifier le site internet sur le r�seau et de visiter la boutique virtuelle. Les r�gles d’attribution sont diff�rentes selon que la personne physique ou morale souhaite d�poser un nom de domaine en [15] ou en [16] , et .
En pratique, l’enregistrement est r�alis� par des soci�t�s sp�cialis�es [17]. Si certaines se contentent d’agir en vertu d’un mandat qui leur est consenti par leur client, d’autres pr�f�rent proc�der � un enregistrement pour leur propre compte et ensuite consentir l’utilisation du nom de domaine au client. L’adresse virtuelle �tant leur propri�t�, ils peuvent librement d�cider de ne plus en laisser la jouissance au client, afin de la c�der ou de la mettre � la disposition d’un nouveau cyber-commer�ant moyennant un prix important. De m�me, ces soci�t�s d’enregistrement de nom de domaine veillent � ce que la demande de renouvellement soit op�r�e � la date d’anniversaire du contrat de nommage. A d�faut, le droit d’utilisation du nom de domaine est d�finitivement perdu pour l’entreprise, et avec lui la valeur du fonds de commerce �lectronique.
La perte du nom de domaine peut avoir des cons�quences d�sastreuses. Des sites internets tels que , ou , mais �galement des entreprises de moindre renomm�e sont susceptibles de perdre un versant entier, voire la totalit� de leur activit�, faute de conserver le b�n�fice de l’utilisation du nom de domaine. En cons�quence, la stabilit�, la p�rennit� et le d�veloppement du fonds de commerce �lectronique sont exclusivement d�termin�s par la signature et le renouvellement du contrat d’enregistrement du nom de domaine, puisqu’il octroie l’adresse virtuelle du site internet permettant � la client�le d’�tre fid�lis�e. Pourquoi alors ne pas assimiler le nom de domaine au local virtuel ?
On sait que conform�ment � l’article 12 du Nouveau Code de Proc�dure Civile le juge doit requalifier le contrat de location en bail commercial si les conditions des articles L 145-1 et L145-8 du Code de commerce sont r�unies [18]. Une telle interpr�tation permettrait au cyber-commer�ant d’�tre assur� du renouvellement du contrat malgr� la survenance du terme [19]du contrat de nommage.
La jurisprudence n’a jamais h�sit�, alors que le statut a vocation � ne s’appliquer qu’aux seuls baux d’immeubles ou locaux, � reconna�tre la qualit� de local � une vitrine [20], ou � un guichet [21]destin� � la vente de billets, au motif que le locataire utilisait ce guichet pour pratiquer des actes de commerce. Bien souvent, seule l’absence de client�le propre au locataire, donc d’un v�ritable fonds de commerce, est retenue pour �carter le statut plut�t qu’une d�finition rigoureuse du local. Or, le site marchand, dont on a d�montr� qu’il �tait constitutif d’un fonds de commerce �lectronique, n’est-il pas la vitrine d�mat�rialis�e de l’entreprise en vue de r�aliser de fa�on renouvel�e des actes de commerce ?
Conclusion
Cette conception novatrice du statut des baux commerciaux, � notre sens, tout � fait admissible juridiquement, permettrait au cyber-commer�ant de b�n�ficier d’une v�ritable s�curit� juridique et d’une stabilit� �conomique.
De plus, la solution propos�e permettrait de conf�rer un statut au nom de domaine qui actuellement ne b�n�ficie d’aucune v�ritable protection, outre l’emprise indirecte du droit des marques et de l’action en concurrence d�loyale.
Enfin, sur un terrain plus pratique, l’interpr�tation serait neutre pour les organismes de nommage, puisqu’ils continueront � b�n�ficier de la redevance [22] r��valu�e, aff�rente � l’utilisation du nom de domaine. Si elle peut avoir pour inconv�nient d’entra�ner la mort de quelques soci�t�s interm�diaires, elle permettrait en contrepartie de lutter contre le ph�nom�ne tr�s r�pandu de " cybersquating " [23]. Certains sont en effet devenus sp�cialistes de l’achat de noms de domaine " perdus ", et ma�tres dans l’art du chantage, pour monnayer au prix fort [24] leur rachat par les soci�t�s n�gligentes d�sireuses de poursuivre l’exploitation de leur site internet.
En accord avec madame Saubirau Perez [25], il nous semble que l’aspect �conomique du droit des affaires doit �tre d�velopp� sur son aspect juridique. La Cour de cassation semble s’orienter dans ce sens avec le d�veloppement de la notion d’entreprise, plus �conomique et davantage adapt�e aux pratiques commerciales de notre temps que ne peut l’�tre la notion d�pass�e du fonds de commerce. Le Droit doit �tre un alli� et non un frein au d�veloppement �conomique et pour ce faire le juriste du XXI�me si�cle doit �tre imaginatif et audacieux. Le profit est la contrepartie du risque, gageons que l’audace juridique se r�v�le payante.