Le droit � l’image ne r�alise son entr�e en jurisprudence que dans la seconde moiti� du 19�me si�cle et ne sera jamais dissoci� du droit au respect de la vie priv�e, puisque seuls les juges p�r�niseront cette distinction.
L’isolement d’un tel droit ne pouvait �tre r�alis� que dans un second temps, il fallait que le concept de droit � la vie priv�e soit bien d�limit� et corresponde � une r�alit� sociologique, � une demande des individus. Avant la R�volution fran�aise, l’id�e de personne et de sph�re priv�e �tait difficilement compr�hensible, seule la collectivit� humaine dans son ensemble rev�tait un sens. Les valeurs individualistes de la R�volution bourgeoise ont constitu� le terreau qui a permis de r�v�ler une autre facette de la personne.
L’individu ne fait plus corps avec la masse, on lui accorde sa place, � lui de la prendre, on lui reconna�t une dimension intime qu’il peut faire respecter.
On ne parlait pas encore de droits de la personnalit�, aussi banal que puisse nous para�tre ce concept aujourd’hui, il aura fallu pr�s de deux si�cles pour que s’affirme le droit � la vie priv�e.
Ce sont les affaires Picasso, G�rard Philipe et Brigitte Bardot qui ont quelque peu forc� le l�gislateur de l’�poque � intervenir pour venir consacrer l�galement ce qui �tait d�sormais dans tous les esprits : "les droits individuels".
L’article 22 de cette loi du 17/07/1970 a �t� int�gr� dans l’article 9 du code civil, dans la r�daction que nous connaissons actuellement.
La prise de conscience de son individualit� g�n�re de nouvelles r�actions, ainsi la d�couverte de la photographie par Daguerre en 1837, a ouvert de nouveaux horizons � cet homme-individu, et lui offriant une autre conscience de lui-m�me.
Cependant, ce n’est pas cette d�couverte qui va alerter la jurisprudence, les juges ont reconnu en 1858 l’existence d’un droit � l’image � propos de la publication d’un tableau repr�sentant un artiste sur son lit de mort (Affaire Rachel) [1], le droit � l’image n’a donc pas attendu l’av�nement de la photographie et sa popularisation pour s’imposer comme un d�membrement du droit plus g�n�ral au respect de la vie priv�e.
Ainsi l’atteinte � son image constitue une violation d’un aspect de la personnailt� de l’individu. La protection de son "reflet" constitue dans un certain sens le parach�vement de l’individu, sa sph�re intime d�passe le cadre des informations brutes pour embrasser le c�t� visible. On doit pouvoir autoriser la diffusion de son image comme l’on peut autoriser ou interdire la r�v�lation de faits intimes touchant � la sant�, aux relations sentimentales...
Le droit � l’image n’est donc pas un concept qui se distinguerait quant au fond du droit plus g�n�ral tel qu’�nonc� � l’article 9 du code civil.
La jurisprudence de ces derni�res ann�es traduit parfaitement l’ambivalence du droit � l’image, tant�t elle sanctionne l’atteinte � l’image d’une personne sur le fondement de l’article 9 en affirmant qu’ "en vertu "de cet article", toute personne quelle que soit sa nototri�t� a sur son image un droit exclusif et absolu", tant�t elle lie clairement les deux droits en affirmant que pour que soit sanctionn� le fait de prendre un clich�, la personne qui s’estime victime doit rapporter la preuve de ce que ce clich� mettait en �vidence des faits ayant un caract�re intime ( CA Aix-en-Provence, 1�re ch civile : 21/03/2000) [2].
Il n’y a donc pas lieu de distinguer les deux droits : droit � l’image et droit � la vie priv�e, puisque le premier est intimement li� au second. Le principe est donc le m�me, les exceptions participent du m�me esprit, il faut admettre que l’atteinte � la vie priv�e est r�alis�e du seul fait de l’atteinte � l’image d’une personne.
I. Principe :
Toute personne peut s’opposer � la divulgation de faits concernant sa vie priv�e de m�me que toute personne peut faire obstacle � la fixation et � la divulgation de son image
Droit au respect de sa vie priv�e
Chaque individu est ma�tre des faits pr�sentant un caract�re intime, il est libre d’en autoriser ou non la divulgation. Dans pratiquement toutes les hypoth�ses, les informations qui ressortissent de la vie priv�e ont trait � la sant�, � la sexualit� ou aux histoires de famille. Cependant la divulgation d’informations int�ressant ces domaines n’est pas toujours constitutive d’une atteinte, comme par exemple le mariage.
Comme l’�crit Ma�tre Andr� Bertrand, il n’y a pas d’information qui intrins�quement porterait atteinte � la vie priv�e. Il poursuit en affirmant que l’atteinte n’est constitu�e que lorsque deux conditions sont remplies : "une r�v�lation de faits intimes" qui ferait suite " � l’immixtion illicite dans un domaine prot�g� que le demandeur entend garder secret" (TGI Paris, 1�re ch, 2/07/97). [3]
Droit � l’image
N�gativement, il correspond au droit de ne pas �tre film� ou photographi�.
Positivement, c’est la reconnaissance d’un droit de contr�le sur son image, sur sa diffusion et sa destination.
M�me sans notori�t�, la personne photographi�e dispose d’un droit absolu de s’opposer � l’utilisation de son image. Si les personnes ont �t� photographi�es dans des lieux publics et qu’elles apparaissent distinctement en raison d’un cadrage, il faudra une autorisation.
Nul ne peut �tre photographi� sans avoir exprim� son consentement tant sur le principe de la r�alisation m�me du clich� que sur la destination de celui-ci.
Pour que l’acte soit sanctionnable, il faut que le demandeur rapporte la preuve de ce que l’image r�v�le un �l�ment ayant un caract�re intime ; la circonstance que la personne se trouvait dans un espace public, visible de tous ne fait pas obstacle � ce droit.
L’autorisation de l’int�ress� est donc requise dans tous les cas, sauf dans des cas exceptionnels o� l’information du public exige la mise � disposition de celle-ci.
II . Exceptions
1) Les exceptions au droit � la vie priv�e et � l’image
1�re exception : "La redivulgation de faits d�j� licitement publi�s" [4] et informations "anodines"
Faits publics ou faits qui ont �t� port�s � la connaissance de tous en toute l�galit�
Il est normal qu’un journaliste ou tout autre professionnel charg� de faire conna�tre et d’�tudier les faits puisse se r�f�rer � des �v�nements qui ont d�j� fait l’objet d’une divulgation, ces faits �tant en principe connus de tous.
Cependant, Me A. Bertrand constate que de nombreux jugements continuent de sanctionner la republication dans des journaux d’informations dont le public avait par le pass� eu connaissance. Il cite � l’appui une d�cision du TGI de Nanterre en date du 15/02/1995 "Seule la personne concern�e est habilit�e � d�cider de faire ou de laisser publier la relation des faits relatifs � sa vie priv�e dans les termes, le support et le contexte choisis par elle, de sorte qu’une nouvelle publication ne peut �tre faite sans son autorisation sp�ciale".
Ce genre de d�cisions contrarie l’esprit de l’article 9 du code civil qui n’est cens� prot�ger que l’intrusion illicite dans la sph�re priv�e. En effet, la divulgation de ces faits par la personne prot�g�e �carte toute id�e d’atteinte � la vie priv�e.
Le droit exclusif et absolu sur sa vie priv�e : la fin d’un r�gne ?
Un arr�t de la cour de cassation, plus r�cent, en date du 3 avril 2002 semble vouloir att�nuer cette s�v�rit� des juges du fond. La cour affirme que la simple relation d’un fait public n’est pas de nature � porter atteinte � la vie priv�e et rappelle que certains faits, qu’elle qualifie d’"anodins", ne peuvent, en raison de cette nature, constituer une atteinte � la vie priv�e. Ainsi, alors m�me qu’aucun contexte d’actualit� ne vient couvrir l’absence d’autorisation, il semblerait que la cour de cassation ait d�cid� de mettre un terme � certaines d�rives jurisprudentielles.
Ne serait prot�g� que ce qui est v�ritablement intime, les �v�nements qui constituent v�ritablement une r�v�lation. Selon Ma�tre Christophe Bigot, auteur d’une note sur cet arr�t, intitul� "protection de la vie priv�e, la cour de cassation pose de nouvelles r�gles", la cour substituerait � l’appr�ciation objective de l’atteinte, une appr�ciation subjective. Ainsi, cette d�cision mettrait un terme � l’hypocrisie qui absorbe tout le contentieux.
Pour Ma�tre Bigot, la cour de cassation a eu pour dessein d’int�grer le principe europ�en de proportionnalit� concernant les atteintes � la vie priv�e et au droit � l’image. Cf l’article "Anodin" dans la rubrique Presse et communication pour un r�sum� de cet arr�t.
A la diff�rence de la redivulgation d’informations qui est libre, la rediffusion de l’image d’une personne n�cessite une nouvelle autorisation.
2�me exception : "Le droit � l’information"
La protection instaur�e par l’article 9 du code civil peut recevoir des limitations n�cessaires � l’information du public lorsqu’ est en cause un �l�ment d’actualit�.
Le droit � l’information est un droit constitutionnel, il est inscrit � l’article 11 de la d�claration des droits de l’homme qui proclame "La libre communication des pens�es et des opinions". L’article 10 alin�a 1er de la Convention europ�enne de sauvegarde des droits de l’homme.
Il faut trouver la juste mesure entre les droits fondamentaux de la personne et la libert� d’expression. Selon Me A Bertrand, "l’information comprend non seulement l’ensemble des messages informationnels transmis par les m�dias traditionnels (presse, radio, t�l�vision) mais �galement ceux exprim�s par des moyens plus primaires (tracts, affiches ...)".
Ainsi, l’autorisation n’est pas requise lorsque la diffusion des images rend compte d’un �v�nement d’actualit�. Le droit � l’image rena�t lorsque le contexte d’actualit� dispara�t.
Il est important de pr�ciser que le consentement donn� � la r�alisation d’une photographie n’implique pas le consentement � son utilisation. Le photographe doit rapporter la preuve de cette double autorisation.
Le contexte particulier du droit � l’information du public dispense le photographe de requ�rir le consentement de la personne uniquement lorsque celle-ci ne fait l’objet d’aucun cadrage particulier.
La jurisprudence r�affirme r�guli�rement cette limite, le clich� doit �tre une illustration ad�quate de l’�v�nement d’actualit�, les personnes pr�sentes � ce moment ne doivent pas �tre "ais�ment identifiables" ( TGI Nanterre 5 octobre 1999).
Elle souligne �galement que cette libert� de communication des informations doit �tre exempte de toute atteinte � la dignit� de la personne humaine ; ainsi il a �t� jug� � propos d’une photo repr�sentant un homme presque nu, le visage ensanglant� mais identifiable que cette derni�re portait atteinte � la dignit� de ce dernier ainsi qu’� l’intimit� de la vie priv�e de la famille.
Les clich�s r�alis�s lors d’une manifestation publique peuvent �tre utilis�s en tant qu’�l�ments d’actualit�, ils ne peuvent en revanche servir � l’illustration d’un autre �v�nement d’actualit�, m�me si ce dernier entretient une relation plus ou moins �troite avec le premier.
Ex : des photos de jeunes r�alis�es au moment de la gaypride peuvent �tre utilis�es sans autorisation, mais elles ne peuvent en aucun cas �tre r�utilis�es librement pour illustrer un article sur le pacs, paru quelques mois plus tard (CA Versailles, 31/01/2002).
De m�me, la personne peut contester les commentaires figurant sous les photographies, si elle estime que ces derniers d�naturent le contenu de l’image.
La libert� d’information est �troitement encadr�e, elle ne peut faire double emploi avec la recherche du sensationnel. Les cadrages et grossissements de certains d�tails trahissent souvent une autre volont�, l’information vue sous un certain angle n’en est plus une et constituera une atteinte � la dignit�.
III. Modalit�s de r�paration de l’atteinte
Des dommages et int�r�ts sont r�guli�rement allou�s sur le fondement de l’article 9 du code civil. Leur �tendue varie selon l’importance de l’atteinte port�e et selon la qualit� des personnes concern�es
Charge de la preuve de l’atteinte
C’est au demandeur, conform�ment au droit commun de rapporter la preuve de celle-ci. Cependant, la "victime" n’a pas � prouver l’absence d’autorisation concernant la r�alisation d’une photo, sa destination ou encore la r�v�lation d’informations. C’est au photographe de prouver qu’il a bien re�u les autorisations n�cessaires.
La r�paration de l’atteinte
L’allocation de dommages-int�r�ts n’est pas syst�matique et ce, m�me si les juges ont reconnu l’atteinte. Le demandeur doit rapporter la preuve d’un dommage r�sultant de cette publication, comme par exemple, un manque � gagner.
De mani�re g�n�rale, lorsque les clich�s concernent des profanes, la r�paration de l’atteinte se limite souvent � l’allocation d’un euro symbolique, sauf lorsqu’il y a atteinte � la dignit�.
Il en va diff�remment, lorsqu’il s’agit de l’image de personnalit�s publiques : hommes politiques, actrices, stars ...
Le droit � l’information permet aux photographes de r�aliser des clich�s d’hommes politiques lorsque ces derniers se situent dans l’exercice de leurs fonctions. L’exploitation de ces photographies en dehors du contexte informationnel aux fins de publicit� n�cessite une autorisation.
La r�alisation de clich�s sans autorisation permet aux photographes ainsi qu’aux soci�t�s d’�dition de tirer un profit ill�gitime de la notori�t� d’une c�l�brit�. Cette derni�re peut se plaindre d’un pr�judice commercial et mettre en avant la valeur marchande des photos. La jurisprudence reconna�t une valeur patrimoniale � la photographie d’une c�l�brit�.
Il n’y a pas d’atteinte et par cons�quent pas de manque � gagner, lorsque les clich�s ont �t� pris pour illustrer un �v�nement d’actualit�. Dans ce dernier cas, elles sont soumises au m�me r�gime que le citoyen lambda.
S’agissant de l’exploitation illicite de l’image d’une personne connue, les juges demandent toutes les pi�ces justifiant le pr�judice commercial et ne se contentent pas d’une �valuation de la notori�t� de la personne, donn�e qui n’entre pas en compte au stade de la constatation de l’atteinte.
Ainsi, les juges n’h�sitent pas � comparer les supports de publication, le format des clich�s et les conditions de reproduction. M�me si le dommage est constat�, son �valuation d�pend largement de l’appr�ciation d’�l�ments factuels.